Pour atteindre des niveaux ultimes d'intégration à l'échelle nanométrique, de nouveaux matériaux moléculaires sont développés pour le stockage de l’information et la spintronique. L'étude de leur élaboration et leur caractérisation, en particulier celle du contrôle de leur anisotropie magnétique, sont alors essentiels.
Peu de techniques expérimentales permettent d’accéder à l’anisotropie locale et à sa corrélation avec la structure moléculaire. Des chercheurs du Laboratoire Léon Brillouin (CNRS / CEA-Saclay), en collaboration avec des équipes de l’Institut Parisien de Chimie Moléculaire (IPCM) et de l’Institut des Sciences Chimiques de Rennes, ont montré que la diffraction de neutrons polarisés permet une corrélation directe entre l’anisotropie magnétique locale et la structure de complexes moléculaires d’ions de transition. Ceci fournit un test crucial pour la prédiction de l’anisotropie magnétique par les méthodes de chimie quantique.
La synthèse de composés de basse dimensionnalité et à forte anisotropie magnétique présentant des comportements de molécule-aimant (Single Molecule Magnet) a ouvert la voie à de futures applications pour le stockage de l’information. Une molécule-aimant possède la propriété d’un aimant, c'est à dire une aimantation rémanente, à l’échelle moléculaire. Ces molécules, de taille nanométrique, sont généralement des complexes polynucléaires d’ions de transition obtenus à partir de briques moléculaires anisotropes. Le temps pendant lequel leur aimantation rémanente persiste est d’autant plus long que le moment magnétique (S) et l’anisotropie magnétique axiale (D) de la molécule sont grands. Ce comportement n’est cependant observé qu’à basse température (de l'ordre d'une dizaine de Kelvin).
Augmenter cette température de fonctionnement ne passe pas seulement par l’augmentation du moment magnétique, mais surtout par celle de l’anisotropie magnétique. Le défi posé aux chimistes est ainsi de déterminer les caractéristiques structurales et chimiques des briques moléculaires, permettant, une fois assemblées, d’obtenir une forte anisotropie magnétique axiale du matériau moléculaire.
Les techniques mises en œuvre jusqu’à présent pour établir les relations magnéto-structurales sont la magnétométrie résolue en angle, la RPE qui fournit les tenseurs hyperfins g, et le dichroïsme circulaire magnétique des rayons X (XMCD) qui donne accès aux moments magnétiques locaux. Ces techniques présentent cependant des restrictions quant à la symétrie cristalline du composé étudié et nécessitent la connaissance préalable de l’orientation précise du cristal. La diffraction de neutrons polarisés (PND) a l’avantage de contenir à la fois l’information magnétique et structurale et fournit une détermination expérimentale directe et unique du tenseur local de susceptibilité magnétique des complexes paramagnétiques d’ions de transition.
Les chercheurs ont ainsi déterminé le tenseur de susceptibilité magnétique locale du complexe de Fe3+ bas-spin, fac-[FeIII(Tp)(CN)3]– (où Tp = tris-pyrazolyl-borate), une brique moléculaire largement utilisée dans la synthèse de matériaux magnétiques fonctionnels (figure ci-contre). Le résultat montre la corrélation entre l’axe magnétique local facile de l’ion Fe3+ et la direction de la liaison Fe-B qui constitue un pseudo-axe de symétrie trigonal remarquable du complexe (en rouge). La figure 2a montre l’orientation respective des tenseurs des molécules contenues dans la maille cristalline monoclinique, que ne fournissent pas les autres techniques telles que la magnétométrie et la RPE.
Pour obtenir un bon accord, entre l'observation par PND et les prédictions théoriques, sur les directions d’anisotropie locale, il est nécessaire de mettre en œuvre des méthodes sophistiquées de calculs ab initio avec interaction de configuration (CASSCF). L'accord obtenu montre que l’anisotropie magnétique du complexe fac-[FeIII(Tp)(CN)3]– est gouvernée par l’axe d’élongation trigonal de l’octaèdre de coordination de l’ion Fe3+.
Cette étude illustre bien une méthode qui donne un accès direct aux axes magnétiques propres locaux d’un complexe moléculaire, quelle que soit la complexité de sa structure cristallographique. Elle permet de relier ces directions propres à la géométrie locale (polyèdre de coordination) de la molécule. Cette technique s’avance comme un outil prééminent dans les études visant à rationaliser les paramètres gouvernant l’anisotropie magnétique des matériaux moléculaires fonctionnels tels que les molécules-aimants ou les nano-fils magnétiques (chaînes-aimants).
Références :
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- Thése de Karl Ridier : « Etudes des relations magnéto-structurales dans les composés à base moléculaire par diffusion des neutrons : des molécules individuelles aux nanoparticules« , Novembre 2014.
- Voir aussi : » Quand l’anisotropie magnétique des molécules dévoile ses formes aux neutrons » et communiqué de presse CNRS associé.
Contact CEA : Béatrice Gillon, LLB – Groupe Diffraction Monocristaux.
Contact CNRS : Rodrigue Lescouëzec, Institut Parisien de Chimie Moléculaire (IPCM).
Collaboration :
- R. Lescouëzec, A. Mondal : Institut Parisien de Chimie Moléculaire (IPCM), Université Pierre et Marie Curie (UPMC)
- K.Ridier, B. Gillon & G. Chaboussant : Laboratoire Léon Brillouin, UMR 12, CEA-Saclay, CEA-CNRS, 91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France
- B. Le Guennic, K. Costuas et C. Boilleau : Institut des Sciences Chimiques de Rennes.