Dynamique chaotique de l’interaction entre une impulsion laser ultra-intense et un plasma dense

Dynamique chaotique de l’interaction entre une impulsion laser ultra-intense et un plasma dense

Une collaboration entre les équipes du LIDYL au CEA Saclay et de l'ATP du Lawrence Berkeley National Lab (LBNL) vient d'élucider les mécanismes d’absorption d’un faisceau laser ultra-intense, lors de sa réflexion sur un plasma dense formé à la surface d’une cible solide. Ces mécanismes, jusqu’alors non identifiés pour des intensités lasers > 1018 W.cm-2, interviennent dans de nombreux processus laser-plasma, tels que la production de faisceaux d’électrons et d’ions relativistes ou de faisceaux de lumière de courte longueur d'onde (émission d’harmoniques Doppler d’ordre élevé), aux multiples applications (spectroscopies, irradiations, médecine…). La compréhension fine de ces mécanismes, rendue possible grâce la combinaison de résultats expérimentaux et numériques de premier plan, permettra d’optimiser ces nouvelles sources de particules et de lumière.

Les méthodes de compression temporelle des impulsions lasers de forte puissance permettent d'obtenir des impulsions de durée femtosecondes (10-15 s) et d'atteindre ainsi des intensités extrêmes (I > 1018 W.cm-2), avec lesquelles on peut explorer l’interaction lumière-matière, dans des conditions jusqu'alors inconnues. Lorsque de telles impulsions laser sont focalisées sur une cible solide, celle-ci est quasi-instantanément ionisée en surface et forme un plasma dense en électrons, réfléchissant pour le champ laser incident.

Dans la présente étude, une collaboration entre des chercheurs du CEA Saclay et du LBNL révèlent que le paramètre crucial pour décrire le mécanisme de couplage entre une impulsion laser et un plasma en régime relativiste est la longueur de gradient L, caractéristique de l'expansion spatiale du plasma. La valeur de L peut être ajustée en prélevant une partie de l'impulsion principale pour obtenir une préimpulsion d'intensité bien définie, qui suivant un chemin optique plus court, peut atteindre la cible avant l'impulsion principale et avec une avance réglable. Cette première impulsion crée un plasma initial, dont la densité et l'expansion sont ainsi contrôlés de façon très fine. Une meilleure maitrise de la qualité des deux impulsions lasers de haut contraste successives a permis aux chercheurs de mettre en lumière deux régimes bien distincts de couplage du plasma avec l'impulsion laser principale, l’un se produisant pour des longueurs de gradient L bien plus courtes que la longueur d’onde laser (L << λ), l’autre pour des longueurs proches de la longueur d’onde laser (L ≈ λ). La combinaison de ces résultats expérimentaux avec des simulations Particle-In-Cell 2D et 3D à l’aide du code WARP/PICSAR ont par la suite permis d’élucider les deux mécanismes plasmas d’absorption.

Pour les courtes longueurs de gradients L, le champ laser se réfléchit sur un plasma encore confiné et très dense, qui joue le rôle de « miroir plasma » (**). Dans ce régime, les électrons sont périodiquement expulsés par le champ laser puis ré-accélérés vers l’intérieur du plasma, en absorbant une fraction significative de l'intensité laser. Ce mécanisme est appelé »‘mécanisme de Brunel« .

Trajectoire dans l'espace des phases (x, px) des électrons du plasma accélérés par le champ de l'impulsion laser. x désigne la coordonnée normale à la surface du plasma, px son impulsion. L’échelle de couleur, fonction de la position initiale des électrons dans le plasma, permet d'identifier les trajectoires. La structure en feuillets est caractéristique d'une dynamique chaotique. Crédit : G. Blaclard © CEA.

Pour des valeurs de L plus élevées, de l'ordre de la longueur d'onde laser, une bonne partie des électrons à l’interface vide-plasma, se trouvent dans une zone de densité sous-critique, dans laquelle le champ incident peut se propager sans réflexion. Ils se retrouvent alors soumis au champ d’interférence entre le champ laser incident et le champ laser réfléchi sur la partie plus interne et plus dense du plasma. Dans ce régime, la dynamique des électrons devient chaotique et ces derniers sont chauffés par chauffage stochastique. Ce processus est illustré Fig. 1 où sont représentés les trajectoires des électrons du plasma dans l’espace des phases (x, px) lors de l’interaction : x représente la coordonnée normale à la surface du plasma et l’échelle de couleur correspond à la position initiale des électrons dans la cible, ce qui permet d'identifier leurs trajectoires. Cet espace des phases montre une dynamique d'étirement et repliement, aussi appelé ‘pétrissage optique’, responsable de l’apparition de structures en feuillets qui sont une signature claire de l’émergence du chaos lors de l’interaction. Du fait de cette dynamique, deux électrons initialement proches dans l’espace des phases exhibent des trajectoires singulièrement différentes en quelques cycles optiques.

Ces résultats montrent le rôle majeur de la longueur de gradient L dans le mécanisme de couplage. La compréhension fine de ces mécanismes, rendue possible grâce la combinaison de résultats expérimentaux et numériques, permettra d’optimiser les sources de particules et de lumière issues de l’interaction laser-plasma, aux multiples applications.


Référence :

L. Chopineau, A. Leblanc, G. Blaclard, A. Denoeud, M. Thévenet, J-L. Vay, G. Bonnaud, Ph. Martin, H. Vincenti, and F. Quéré,
Phys. Rev. X 9 (2019) 011050.

Contact CEA-IRAMIS : Henri Vincenti et Fabien Quéré (LIDYL/PHI).

Collaboration :

Le code PICSAR a été développé en collaboration entre le CEA-IRAMIS et le LBNL.

(**) Miroir plasma, voir les faits marquants antérieurs de l'IRAMIS/Lidyl :