Code de calcul massivement parallèle pour une simulation ab-initio de l’interaction laser-matière à ultra-haute intensité : atteindre une compression de 10^25 W.cm^-2

Code de calcul massivement parallèle pour une simulation ab-initio de l’interaction laser-matière à ultra-haute intensité : atteindre une compression de 10^25 W.cm^-2

L’avènement des lasers femtosecondes (1fs = 10-18s) de puissance avec la technique « Chirped Pulse Amplification » (CPA) [1] permet aujourd’hui de délivrer des intensités lumineuses gigantesques (> 1021 W.cm-2) associées à des champs électriques ultra-intenses de l’ordre de 1013 V.m-1. Dans ces conditions extrêmes, la matière devient plasma et le champ laser peut accélérer des particules chargées (électrons/ions) du plasma à des vitesses relativistes en quelques attosecondes (1as = 10-18s). La physique associée à ces nouveaux régimes, appelée physique des Ultra-Hautes Intensités (UHI), est ultra-relativiste, fortement non-linéaire et hors-équilibre, ce qui rend son étude particulièrement importante d’un point de vue fondamental.

Les codes « Particle in Cell » – code PIC – sont particulièrement adaptés pour modéliser ces types de plasmas. Ils permettent de tester finement tous les effets de l’interaction laser-matière, lorsque l’on manipule des impulsions ultra-courtes et ultra-intenses, et surtout permettent de proposer de nouveaux modes expérimentaux. Comparé au régime térawatt, il est ainsi montré que de nouveaux phénomènes apparaissent lors de la focalisation d’une impulsion laser d’une puissance supérieure au pétawatt (> 1 PW = 1015 W) sur une surface solide : du fait de l’effet doppler et de la courbure induite par l’extrême pression de radiation, un facteur 500 est prédit sur l’intensité du champ réfléchi par un « miroir plasma », pouvant alors atteindre 1025 W.cm-2 au point focal.

[1] Le prix Nobel 2019 de Physique a été attribué à Gérard Mourou et Donna Strickland pour la découverte de cette technique d’amplification des impulsions laser.


Aujourd’hui, l’avènement des lasers pétawatts (PW) (e.g. APOLLON, ELI, BELLA) capables de délivrer des intensités supérieures à 1022 W.cm-2, ouvrent de nouvelles perspectives pour la physique UHI. Ces nouveaux lasers permettront de produire des sources de particules et de lumières ultra-compactes et ultra-brèves aux applications extrêmement prometteuses (X-FEL compacts, hadronthérapie, collisioneurs de particules du futur, etc…).

Le succès des installations lasers PW et l’avancement de la physique UHI dépendront du fort couplage entre les expériences et les simulations ‘premiers principes’ de type Particle-In-Cell (PIC). En effet, les échelles de temps et d’espace mises en jeu dans cette physique étant extrêmement faibles, il n’existe pas à l’heure actuelle de diagnostics expérimentaux permettant de ‘capturer’ la dynamique fortement non-linéaire du plasma sous l’effet du champ laser. Pour comprendre cette dynamique complexe, une description cinétique ‘premiers principes’ du plasma à l’aide de la méthode PIC est donc nécessaire. Cette méthode résout de manière couplée les équations de Maxwell et le mouvement des particules du plasma. Malheureusement, les codes PIC standards actuels ne permettent pas de décrire avec précision ces nouveaux régimes PW d’interaction laser plasma car le solveur de Maxwell aux différences finies (Finite Difference Time Domain FDTD) utilisé pour propager les champs électromagnétiques en temps et en espace génère de nombreux artefacts numériques affectant les résultats de simulation [2,3]. Jusqu’à présent, l’atténuation de ces artefacts nécessitait l’utilisation d’une très haute résolution, augmentant de ce fait considérablement le temps de calcul et empêchant une modélisation 3D réaliste.

Simulation « Particle In Cell » PIC 3D de l’interaction entre une impulsion laser 3 PW et une surface solide (miroir plasma).

(a) Schéma proposé ; (b) Intensité du champ réfléchi en fonction de la distance z au miroir plasma. Une intensité de 1025 W/cm2 peut être atteinte du fait de la qualité de la focalisation : (c) Profil d’intensité spatio-temporel I(x,t) du champ réfléchi dans le plan du miroir plasma – (e) au foyer du miroir plasma
(d) Profil d’intensité I(x,y) dans le plan du miroir plasma, (f) au foyer du miroir plasma.

Pour faire face à ce challenge, une collaboration entre le CEA- IRAMIS et le Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL) a développé une nouvelle génération de codes PIC utilisant des solveurs de Maxwell pseudo-spectraux infiniment précis et massivement parallèles (code PICSAR) [3-7]. Malgré leur précision, ces solveurs ont été progressivement abandonnés au profit des solveurs FDTD, du fait de leur faible scalabilité, jusqu’à 10 000 cœurs seulement. Une nouvelle technique de parallélisation [4,5] de ces solveurs a alors été développée jusqu’à 1 000 000 de cœurs, rendant possible pour la première fois leur utilisation à très grande échelle dans des simulations PIC 3D sur la machine MIRA aux USA [3]. Nous avons notamment montré que ces solveurs convergent beaucoup plus rapidement à résolution identique vers la solution physique que les solveurs FDTD. Par exemple dans le cas de l’interaction laser-solide, notre étude démontre que notre code converge 500 fois plus rapidement que les codes standards, pour lesquels il est donc impossible de converger vers la solution même sur les plus gros calculateurs exascale à venir.

La précision apportée par notre code a récemment permis deux avancées majeures :

  1. Une compréhension fine des mécanismes d’absorption laser par des plasmas denses à l’œuvre dans des expériences récentes réalisées sur le laser UHI100 au CEA Saclay [8]. Comprendre ces mécanismes d’absorption est crucial pour optimiser les propriétés des sources de particules et de lumière issues de l’interaction laser-matière.
  2. De proposer et valider numériquement un nouveau schéma physique qui permet d’atteindre des intensités inégalées (> 1025 W.cm-2) [9]. Son principe, détaillé Fig. 1 panel (a), consiste à focaliser un laser 3 PW sur une cible solide pour créer un miroir plasma relativiste. Sa validation numérique avec PICSAR est présentée sur les panels (b-f). Lors de la réflexion du laser sur ce miroir plasma, les oscillations de sa surface compriment temporellement le champ incident (cf. (c)) à chaque cycle laser par effet Doppler. Cette modulation temporelle périodique augmente l’intensité du champ réfléchi d’un facteur 5 (cf. (b)) et est associée à un spectre d’harmoniques Doppler. Par ailleurs, la pression de radiation du laser incident sur le miroir plasma courbe sa surface (cf. (a)). Cette courbure induit en retour une forte focalisation des harmoniques Doppler (cf. (d)-(f)) responsable d’un accroissement d’un facteur 100 de l’intensité du champ réfléchi au point focal (cf. (a)). La combinaison de l’effet Doppler et de la focalisation par le miroir plasma produisent ainsi des puissances instantanées de 1025 W.cm-2 au foyer du miroir plasma. La simulation 3D présentée Fig.1 a nécessité 0.8 million de cœurs pendant 24h. En produisant de telles intensités, ce schéma donnera à accès à de nouveaux régimes d’électrodynamique quantique (QED) non-linéaire encore inconnus. Il devrait ainsi avoir un impact majeur sur la physique des champs forts.

Cette étude montre une nouvelle fois toute l’importance de la simulation de type PIC pour la maitrise des impulsions laser de ultra haute intensité, qui permet de révéler de nouveaux effets et de proposer ainsi de nouvelles expériences, pour explorer ces régimes d’intensités extrêmes qui deviennent aujourd’hui accessibles avec l’avènement de la dernière génération de lasers UHI.


Références :

  1. R. W. Hockney and J. W. Eastwod, New York: MacGraw-Hill, 1980 ; C. K. Birdsall and A. B. Langdon, New York: MacGraw-Hill, 1985.
  2. Pseudospectral Maxwell solvers for an accurate modeling of Doppler harmonic generation on plasma mirrors with particle-in-cell codes
    G. Blaclard, H. Vincenti, R. Lehe, and J. L. Vay, Phys. Rev. E, 96 (2017) 033305 ;
  3. Ultrahigh-order Maxwell solver with extreme scalability for electromagnetic PIC simulations of plasmas
    H. Vincenti and J-L Vay, Comput. Phys. Comm., 228 (2018) 22 ;
  4. A domain decomposition method for pseudo-spectral electromagnetic simulations of plasmas
    J-L Vay, I. Haber and B.B. Godfrey, J. Comput. Phys., 243 (2013) 260
  5. Detailed analysis of the effects of stencil spatial variations with arbitrary high-order finite-difference Maxwell solver
    H. Vincenti and J-L Vay, Comput. Phys. Comm., 200 (2016)147 ;
  6. PIC codes on the road to exascale architectures,
    H. Vincenti, M. Lobet, R. Lehe, J.-L. Vay, J. Deslippe, Exascale scientific applications,
    Chapman and Hall/CRC Computational Science Series, chap 17, ISBN 9781138197541 (2017).
  7. An efficient and portable SIMD algorithm for charge/current deposition in Particle-In-Cell codes
    H. Vincenti, M.Lobet, R.Lehe, R.Sasank and J.-L.Vay, Comput. Phys. Comm., 210 (2017) 145.
  8. Identification of coupling mechanisms between ultraintense laser light and dense plasmas
    L. Chopineau, A. Leblanc, G. Blaclard, A. Denoeud, M. Thévenet, J-L. Vay, G. Bonnaud, Ph. Martin, H. Vincenti, F. Quéré,
    submitted to Phys. Rev. X, ArXiv:1809.03903 (2018)
  9. Achieving extreme light intensities using relativistic plasma mirrors
    H. Vincenti, submitted to Phys. Rev. Lett, ArXiv:1812.05357 (2018)Phys. Rev. Lett. 123 (2019) 105001.

Voir les faits marquants antérieurs sur les miroirs plasmas « UHI-100 » :

Voir l’observation expérimentale réalisée en 2022 : « Miroir plasma : un pas supplémentaire pour approcher la limite de Schwinger et sonder le vide« .


Contact CEA-IRAMIS : Henri Vincenti (IRAMIS/LIDYL/PHI)
Le développement du code PICSAR s’est fait en collaboration entre l’équipe PHI du LIDYL et le Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL), voir le site : https://www.picsar.net.


Collaboration :