Mécanismes de génération d’harmoniques d’ordre élevé par un cristal d’arséniure de gallium (AsGa)

Mécanismes de génération d’harmoniques d’ordre élevé par un cristal d’arséniure de gallium (AsGa)

La génération d’harmoniques d’ordre élevé (n > 10) dans un solide est un processus extrêmement non-linéaire, qui peut être observé lorsqu’un cristal interagit avec un champ laser intense. Elle se traduit par l’émission d’un rayonnement composé de tout un ensemble d'harmoniques de la fréquence du laser excitateur. Plusieurs mécanismes électroniques sont cependant évoqués pour rendre compte de cette observation : transition interbande ou oscillation des électrons intra-bande au sein de la bande de conduction.

L'étude par une équipe du LIDYL/DICO, en collaboration avec le Max Planck Institute for the Structure and Dynamics of Matter (MPSD), du processus sur un cristal de GaAs permet d'identifier sans ambiguïté les contributions de chacun de ces mécanismes, grâce à la structure électronique bien particulière du cristal.

Cette étude éclaire ainsi d'un jour niveau la génération d’harmoniques d’ordre élevé dans un solide, étape indispensable pour permettre le développement d'une future optoélectronique à la fréquence pétahertz (1015 Hz).

La génération d'harmoniques d’ordre élevé par des impulsions laser ultra-courtes et très intenses a été observée pour la première fois dans les gaz. Des phénomènes de même nature peuvent être également observés dans les solides. Ils résultent d'une interaction hautement non-linéaire entre un laser pulsé très intense (durée d'impulsion ~ 50 fs) et un cristal diélectrique ou semi-conducteur.

Les symétries du système (cristal + faisceau laser) font que les harmoniques du laser incident contiennent une information sur l’interaction du laser avec le cristal, et leur étude permet de remonter aux propriétés intrinsèques du matériau (structure cristalline et structure de bandes électroniques), ainsi qu’aux dynamiques électroniques lors de l’interaction avec le rayonnement.

L'équipe du LIDYL/DICO, en collaboration avec le MPSD, a ainsi étudié la dépendance en fonction de la direction de polarisation linéaire, de la génération d'harmoniques d'ordre élevé dans un cristal d'arséniure de gallium (AsGa), qui a permis d'identifier les mécanismes à l'origine du phénomène :

La première observation de la génération d'harmoniques d'ordre élevée dans un cristal de silicium est relativement récente (2011) et a initié un nombre très important d’études et de publications. Deux mécanismes à l'origine de l’émission du rayonnement harmonique sont actuellement identifiés (voir figure) :

  • la polarisation inter-bande, qui sous l'effet du champ intense permet la recombinaison d'une paire électron-trou entre deux bandes d'énergie séparées par le gap du semi-conducteur,
  • l'oscillation électronique non-linéaire intra-bande, au sein de la bande de conduction peuplée par effet tunnel du fait du champ laser intense. La courbure de bande non parabolique est à l'origine des effets fortement non linéaire.

L’expérience sur GaAs a été menée sur la plateforme laser NanoLight du LIDYL, dans différentes géométries permettant dans un premier temps de discriminer l'origine des variations du rayonnement harmonique : le cristal étant transparent au rayonnement infrarouge, mais opaque au rayonnement harmonique, la génération harmonique d'ordre élevé observée est issu des ~ 100 derniers nanomètres après la traversée du cristal.

Harmoniques (n= 3 à 11) d'impulsions laser infrarouge à 2.1 µm produites par un cristal de GaAs. Les harmoniques contiennent une information sur l’interaction du laser avec le cristal.

L'intensité des harmoniques impaires jusqu’à l’ordre 11 a ensuite été mesurée en fonction de l’orientation du cristal par rapport à la polarisation linéaire du laser. On remarque une modification significative de l'anisotropie pour les ordres faibles, particulièrement l’harmonique 5 (voir figure), dont l’origine a été recherchée.

Figure : (a) Représentation schématique de la géométrie de l'expérience. A noter : les orientations relatives des axes cristallins de GaAs (ΓX et ΓK) avec la polarisation du laser (flèche rouge).
(b) Carte d'anisotropie de l’intensité I(θ) de l'harmonique 5, pour une longueur d'onde fondamentale de 2.1 μm), en fonction de l'orientation du cristal par rapport à la polarisation du laser, et pour différents éclairements.
(c) Structure de bandes de GaAs obtenue par la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT). Le laser induit une dynamique électronique cohérente. A éclairements laser élevés, les électrons peuvent atteindre suivant la direction ΓX l'inflexion (entouré en vert pointillé) de la première bande de conduction, où se développe un courant électronique intra-bande. Il en résulte une émission pour l'harmonique 5 qui domine l'émission inter-bande issue de la transition entre la première bande de conduction et la bande de valence suivant ΓK.

Il est possible de conclure que, pour la longueur d’onde et l’éclairement laser considérés, le signal harmonique est dominé à basse intensité par la contribution inter-bande. À plus forte intensité, l’inversion d’anisotropie observée s'explique ensuite par l'émergence d'une forte émission due à la dynamique intra-bande. La structure de bande de GaAs présente en effet une ouverture de gap (anti-croisement) entre deux bandes de conduction dans la direction ΓX, qui induit une inflexion significative de la bande de conduction (voir figure), à l'origine d'effets fortement non linéaire. A fort éclairement laser et pour cette direction ΓX, les électrons sont suffisamment accélérés pour explorer une large étendue de cette structure de bande loin du point Γ et atteindre cette inflexion.

La prépondérance à basse et forte intensité de l'un puis l'autre des deux processus possibles de génération d'harmonique est ainsi à l'origine de la modification d'anisotropie observée. L'expérience révèle ainsi une compétition entre les processus intra-bande et inter-bande dans l’émission harmonique, qui résulte de la dynamique électronique propre à la structure de bande de GaAs soumise à l’interaction avec le champ laser intense.

Cette observation expérimentale confirme la possibilité de piloter et de contrôler la dynamique électronique en fonction de la direction cristalline et de l’intensité laser, ce qui a déjà motivé la communauté pour poursuivre des développements vers une optoélectronique pétahertz, c'est à dire le contrôle électronique par la lumière à l’échelle de temps du ½ cycle optique du laser IR (~ 7 femtoseconde pour l'infrarouge à 2.1 µm).


Référence:

“Polarization spectroscopy of high-order harmonic generation in gallium arsenide”,
S. Kaassamani, T. Auguste, N. Tancogne-Dejean, X. Liu, W. Boutu, H. Merdji, and D. Gauthier, Optics Express 30, 24 (2022).

(*) Projet européen PETAcom

Contact CEA-IRAMIS : David Gauthier (LIDYL/DICO)

Collaboration :