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Univ. Paris-Saclay
20 avril 2021
Physique attoseconde sur des temps longs
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L'observation de la dynamique électronique à l’échelle attoseconde (1 as = 10-18 s) est aujourd'hui devenue possible sur des systèmes atomiques, puis moléculaires et en phase condensée, grâce à la disponibilité d’impulsions lumineuses de durées inférieures à la femtoseconde et utilisées dans des dispositifs pompe-sonde.

Après de spectaculaires démonstrations initiales, le domaine butte cependant aujourd’hui sur la nécessité d’acquérir des signaux de plus en plus faibles, ce qui requiert des temps d’accumulation de plus en plus longs, typiquement de quelques heures. Pour réduire ce temps, une première voie exploitée est d'augmenter la cadence des tirs. Une seconde consiste à stabiliser finement le délai entre les deux impulsions pompe (XUV) et sonde (IR), pour obtenir un signal accumulé de bien meilleure qualité.

Une nouvelle méthode efficace de stabilisation de ce délai vient d'être obtenue sur le laser FAB10 de la plateforme ATTOLab-Orme [5] : le mélange d'une impulsion harmonique XUV attoseconde et de l'impulsion IR de sonde photoionise des atomes de gaz rare selon plusieurs voies possibles qui interfèrent entre-elles. La mesure de l'état d'interférence pour plusieurs harmoniques donne une mesure très précise du délai entre les 2 impulsions, et fournit un bon signal de stabilisation par contre-réaction.

Sur plus d’une heure, le délai ainsi stabilisé montre des fluctuations d'amplitude réduite à 28 as RMS et des expériences de 3 heures avec cette précision ont été récemment réussies. Cette nouvelle technique, laisse augurer de la possibilité de mesures de dynamiques originales sur les lignes attosecondes de la plateforme ATTOLab au LIDYL.

 

 

 

Les nombreuses applications (en spectroscopie atomique et moléculaire, chimie, matière condensée…) de l'étude de dynamiques électroniques* à l'échelle attoseconde conduisent au développement de dispositifs toujours plus nombreux : ELI, Artemis Rutherford, HHG @ FERMI… Dans ce contexte, la plateforme ATTOLab, coordonnée par le LIDYL dans le cadre de l’Université Paris Saclay, joue un rôle pionnier [1, 4].

Sur ces installations, la résolution temporelle attoseconde est généralement obtenue par des schémas d'expérience de type pompe-sonde, dans lesquels une première impulsion lumineuse déclenche un phénomène, et une seconde impulsion lumineuse sonde le système excité ultérieurement, avec un retard bien contrôlé. Au cours d’une mesure, la précision du délai entre les deux impulsions et leurs durées déterminent la résolution temporelle atteinte. Pour atteindre les meilleures performances, les expériences exigent aujourd’hui une stabilisation sur plusieurs heuresdu délai à l’échelle attoseconde, ce qui impose de dépasser les limites techniques actuelles.

Jusqu’à récemment, c'est principalement des sources basées sur la génération d’harmoniques d’ordre élevé (GHOE) qui permettaient d'approcher ces exigences. Elles s’appuient sur la conversion hautement non linéaire d’une impulsion laser courte et énergétique du visible/infrarouge (Vis-IR), vers l’ultraviolet extrême (XUV), formant un train d’impulsions XUV attoseconde. Ces dernières sont alors utilisées pour des applications dans des schémas pompe-sonde, dans lesquelles le second faisceau est un reliquat du faisceau laser utilisé pour la GHOE.

Dans ces expériences, le délai entre ces deux impulsions n'est stabilisé que par des méthodes indirectes, reposant en général sur un signal interférométrique issue d'une voie auxiliaire parcourue par un faisceau laser continu [8]. Cette solution n'est pas optimale car elle nécessite d'introduire de nouveaux composants optiques et ne permet pas de stabiliser le dispositif interférométrique pompe-sonde lui-même.

 

En 2020, deux ruptures, exploitant le même phénomène, ont été introduites indépendamment sur les sources XUV ultra-brèves :

- Sur les lasers à électrons libres (FEL) [3, 7], une résolution attoseconde a pu être atteinte en mesurant très précisément et a posteriori le délai entre les faisceaux pompe et sonde, que l'on laisse librement fluctuer. Cette mesure s’effectue en analysant un signal d’interférences quantiques entre paquets d’ondes électroniques issus de la photoionisation d’un gaz atomique par l’impulsion XUV, et modulées en phase par une impulsion de pompe.

- En parallèle, il a été montré à ATTOLab que pour une source basée sur la GHOE, il est également possible d'utiliser ces interférences quantiques, non seulement pour déterminer le retard entre les impulsions XUV et Vis-IR, mais également pour le stabiliser [5]. À l’inverse des approches antérieures, il s’agit ici d’une mesure directe, sans optique ou laser supplémentaire, du retard entre impulsions pompe et sonde.

 

Ligne FAB10 @ ATTOLab, équipée par le TOF- Spin pour l’étude des surfaces. Expérience en collaboration avec l’équipe du LPMS de l’Université de Cergy-Pontoise, coordonnée par Karol Hricovini, associée au LIDYL [1].

 

Pour cela, en amont du point focal du faisceau laser FAB10 (cadencé à 10kHz) au niveau de l’expérience, un autre point d'interaction entre les deux impulsions à synchroniser est formé dans la zone active d’un spectromètre électronique à temps de vol, avec un gaz noble pour cible. Le mélange des deux impulsions (harmonique XUV et IR) ouvre plusieurs voies de photoionisation qui interférent. L'état d'interférence est simultanément mesuré pour plusieurs harmoniques, puis analysé pour obtenir une mesure avec la précision requise de l'écart temporel (voir figure). Le phénomène est très proche de celui utilisé pour la mesure du délai sur les FEL, et a longtemps été utilisé pour la mesure des profils temporels d’impulsions attosecondes [2, 6]. De plus, la photoionisation consomme très peu de photons, dont la très grande majorité se propage vers la zone expérimentale.

 

Signaux d’interférences entre paquets d’ondes de photo-électrons permettant de déterminer, avec une précision attoseconde, le retard entre les impulsions XUV et IR dans un dispositif de mesure pompe-sonde.
Un mélange des harmoniques impaires XUV (2q-1) et (2q+1) avec une partie de l'impulsion IR initiale conduit à plusieurs voies de photoionisation (à la fréquence 2q, side band – SB - sur le schéma) d'un atome de gaz rare, qui interférent. La mesure simultanée des SB 14 et 22 oscillants en quadrature est utilisée pour stabiliser le retard entre les impulsions pompe et sonde avec la précision souhaitée. A droite, on peut apprécier la stabilité résultante du retard sur la mesure des interférences très sinusoïdales des SB 18 et 20.

Après une phase de calibration rapide, l’analyse en direct de ce signal d’interférence permet de rétroagir sur le délai imposé à une cadence de 10 Hz. Le dispositif permet alors de réaliser des mesures sur trois heures, avec une fluctuation moyenne de délai réduite à 28 as RMS seulement. Ceci rend la technique extrêmement prometteuse quant à la précision effectivement atteinte, en particulier sur des lasers à forte puissance moyenne pour lesquels la dilatation des miroirs joue un rôle important, resté jusqu’à présent non compensé. Des expériences aussi difficiles que la mesure de temps de photoionisation résolus angulairement, dans des molécules isolées ou sur des surfaces, deviennent ainsi envisageables sur une grande variété d’échantillons. Un brevet a été déposé.

 

Évolution du délai entre les impulsions XUV et IR sur la ligne attoseconde FAB10 d’ATTOLab sans (signal bleu) et avec (signal orange) la boucle d’asservissement LIZARD en fonctionnement. En insert, la réponse du système à un changement de consigne de 50 as, pour deux réglages de l’asservissement.

 

La physique XUV ultra-rapide a ainsi vu cette année un verrou essentiel être levé : alors que les grandes installations FEL entrent dans le domaine attoseconde, les installations légères basées sur la HHG, bien plus nombreuses et accessibles, deviennent adaptées à des temps de mesures très longs. L’exploitation de ces nouvelles capacités crée un foisonnement de propositions, qui a déjà commencé à être exploité à ATTOLab.

 

* Photoionisation, réarrangement d'orbitales, orientation de spin, évolution de structures de bande, corrélations électroniques....

Références :

[1] Spin, time, and angle resolved photoemission spectroscopy on WTe2
M. Fanciulli, J. Schusser, M-I Lee, Z. El Youbi, O. Heckmann, M.-C. Richter, C. Cacho, C. Spezzani, D. Bresteau, J.-F.Hergott, P. d'Oliveira, O. Tcherbakoff, T. Ruchon, J. Minár, and K. Hricovini,
Physical Review Research, 2(1) (2020) 013261.

[2] Attosecond dynamics through a Fano resonance: monitoring the birth of a photoelectron
V. Gruson, L. Barreau, Á. Jiménez-Galan, F. Risoud, J. Caillat, A. Maquet, B. Carré, F. Lepetit, J.-F. Hergott, T. Ruchon, L. Argenti, R. Taïeb, F. Martín, P. Salières,
Science, 354(6313) (2016), 734.

[3] D. C. Haynes, M. Wurzer, A. Schletter, A. Al-Haddad, C. Blaga, C. Bostedt, J. Bozek, H. Bromberger, M. Bucher, A. Camper, S. Carron, R. Coffee, J. T. Costello, L. F. DiMauro, Y. Ding, K. Ferguson, I. Grguraš, W. Helml, M. C. Hoffmann, M. Ilchen, S. Jalas, N. M. Kabachnik, A. K. Kazansky, R. Kienberger, A. R. Maier, T. Maxwell, T. Mazza, M. Meyer, H. Park, J. Robinson, C. Roedig, H. Schlarb, R. Singla, F. Tellkamp, P. A. Walker, K. Zhang, G. Doumy, C. Behrens & A. L. Cavalieri,
Nature Physics, 17(4) (2021) 512.

[4] Angle-resolved studies of XUV–IR two-photon ionization in the RABBITT scheme,
J Joseph, F Holzmeier, D Bresteau, C Spezzani, T Ruchon, J F Hergott, O Tcherbakoff, P D'Oliveira, J C Houver and D Dowek,
Journal of Physics B: Atomic, Molecular and Optical Physics, 53(18) (2020) 184007.

[5] In situ sub-50-attosecond active stabilization of the delay between infrared and extreme-ultraviolet light pulses,
M. Luttmann, D. Bresteau, J.-F. Hergott, O. Tcherbakoff et T. Ruchon,
Physical Review Applied, 15(3) (2021).

[6] Attosecond Synchronization of High-Harmonic Soft X-rays,
Y. Mairesse, A. de Bohan, L. J. Frasinski, H. Merdji, L. C. Dinu, P. Monchicourt, P. Breger, M. Kovačev, R. Taïeb, B. Carré, H. G. Muller, P. Agostini, P. Salières,
Science, 302(5650) (2003) 1540.

[7] Attosecond pulse shaping using a seeded free-electron laser,
P. K. Maroju, C. Grazioli, M. Di Fraia, M. Moioli, D. Ertel, H. Ahmadi, O. Plekan, P. Finetti, E. Allaria, L. Giannessi, G. De Ninno, C. Spezzani, G. Penco, S. Spampinati, A. Demidovich, M. B. Danailov, R Borghes, G. Kourousias, C. E. Sanches Dos Reis, F. Billé, A. A. Lutman, R. J. Squibb, R. Feifel, P. Carpeggiani, M. Reduzzi, T. Mazza, M. Meyer, S. Bengtsson, N. Ibrakovic, E. Rose Simpson, J. Mauritsson, T. Csizmadia, M. Dumergue, S. Kühn, H. Nandiga Gopalakrishna, D. You, K. Ueda, M. Labeye, J. Egebjerg Bækhøj, K. J. Schafer, E. V. Gryzlova, A. N. Grum-Grzhimailo, K. C. Prince, C. Callegari & G. Sansone,
Nature, 578(7795) (2020) 386.

[8] Flexible attosecond beamline for high harmonic spectroscopy and XUV/near-IR pump probe experiments requiring long acquisition times,
S. J. Weber, B. Manschwetus, M. Billon, M. Böttcher, M. Bougeard, P. Breger, M. Géléoc, V. Gruson, A. Huetz, N. Lin, Y. J. Picard, T. Ruchon, P. Salières, and B. Carré,
Review of Scientific Instruments, 86(3) (2015) 033108.

 


Contact CEA-IRAMIS : David Bresteau & Thierry Ruchon (IRAMIS/LIDYL, Groupe Attophysique)

Collaboration : IRAMI/LIDYL, équipe SLIC.

 
#3340 - Màj : 07/06/2021

 

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