... Les météorites, mémoire du système solaire

NOVEMBRE 1998 N° 19

SPIN UP, SPIN DOWN

Une équipe du Service de Physique de l’Etat Condensé (SPEC) explore les possibilités d’utilisation du moment magnétique de l’électron pour une électronique du futur.

Les capteurs de champ magnétique sont de plus en plus utilisés dans les appareils qui nous entourent :  voitures, ordinateurs, radiocassettes ou robots ménagers par exemple. Il existe donc une concurrence mondiale pour développer des capteurs de plus en plus sensibles, robustes et économiques. Les capteurs les plus répandus sont inductifs : une petite bobine mesure la variation du champ magnétique. Ils ont l’avantage d’être sensibles et peu chers mais ils ne mesurent que la variation du champ magnétique et non sa valeur.

Les capteurs dits “à magnétorésistance géante” commencent à être utilisés dans les têtes de lecture de disques durs d’ordinateurs et dans des systèmes actifs de freinage automobile (ABS). Ces capteurs sont formés de multicouches de métaux ferromagnétiques séparés par un métal non magnétique. La résistance électrique de ces assemblages varie fortement (jusqu’à 80 %) en fonction d’un champ magnétique appliqué.


Figure 1 : Densité d’électrons en fonction de l’énergie et du spin pour le cobalt (à gauche) et un manganite (à droite).

Principe de la magnétorésistance géante

Dans les métaux, la circulation du courant électrique est assurée par les électrons ayant une énergie particulière, l’énergie de Fermi. La densité d’électrons au niveau de Fermi est fixée et dépend essentiellement de la nature du métal. De plus, l’électron possède un moment magnétique intrinsèque appelé spin. En présence d’un champ magnétique, le spin de l’électron peut prendre deux états possibles : parallèle au champ, (électron up), ou opposé au champ magnétique, (électron down).

Dans le cas d’un matériau ferromagnétique, il existe un champ magnétique interne très élevé : 1,7 Tesla pour le cobalt par exemple. Il en résulte que tous les niveaux d’énergie des électrons deviennent dépendant du spin de celui-ci. Ainsi, la densité d’électrons au niveau de Fermi n’est plus la même pour un électron up ou down. Pour le cobalt, le rapport entre les densités est de 2,5 (Fig. 1). Dans ce cas, on dit que les électrons de conduction sont polarisés en spin.


Figure 2 : Schéma du dispositif. La vanne de spin (en rouge) est connectée par deux électrodes métalliques (en beige).

Imaginons alors deux couches de cobalt séparées par un métal non magnétique. Ces deux couches peuvent avoir des aimantations opposées. Dans ce cas, les électrons (principalement up) sortant de la première ne peuvent pas trouver de place dans la deuxième car ils sont down pour celle-ci et sont donc repoussés. Cette répulsion  crée une résistance électrique importante. A l’opposé, si l’aimantation des deux couches sont parallèles, les électrons passent facilement.

Les oxydes de manganèse à valence mixte (manganites), comme La0.7Sr0.3MnO3, sont des candidats idéaux pour engendrer des effets magnétorésistifs géants car les électrons de conduction sont totalement polarisés (seuls les électrons up peuvent circuler). En collaboration avec l’UMR Thomson/CNRS nous avons réalisé des vannes de spin à effet tunnel (voir encadré) formées entièrement d’oxydes avec des couches en maganites et des barrières isolantes en SrTiO3 ou CeO2.

Ces composés présentent l’avantage d’avoir des paramètres de maille semblables, ce qui permet une croissance épitaxiale de multicouches. Le dispositif (Fig. 2) est fabriqué par photolithographie optique et gravure par faisceau d’ions argon.


Figure 3 : Résistance en fonction du champ appliqué mesurée sur le dispositif de la figure 2.

En jouant sur les épaisseurs des couches, on peut changer leur coercivité : plus la couche est fine, plus elle est difficile à retourner.

Avec une barrière de 3 nm de SrTiO3, nous avons obtenu à basse température une magnétorésistance géante de 450 % à 0,01 Tesla. Ce résultat constitue un record dans le domaine de la magnétorésistance (Fig. 3). Les couches de manganite utilisées, à base de La0.7Sr0.3MnO3 sont bien magnétiques jusqu’à 350 K. Malheureusement, l’effet magnéto résistif s’écroule au delà de 200 K. La raison en est la qualité des interfaces qui, à cause de défauts, ne sont plus magnétiques à température ambiante et dépolarisent les électrons lors de leur passage.

Au delà des capteurs magnétiques, de nombreux groupes dans le monde travaillent maintenant sur une électronique utilisant ces propriétés de spin de l’électron. En effet, de même que l’électronique classique, à semi-conducteurs est basée sur le couple électron-trou, on peut imaginer une électronique fondée sur la différence de spin. Un premier avantage de tels systèmes serait la très faible dissipation de chaleur et la vitesse grâce à des transistors entièrement métalliques. D’autre part, comme cette électronique serait basée sur des composés magnétiques, elle pourrait être reconfigurable in situ. Il reste néanmoins de formidables barrières technologiques à passer avant de voir apparaître un microprocesseur à base de transistors magnétiques.

Les vannes de spin

Une vanne de spin est composée d’une couche très faiblement coercitive (elle suit toujours le champ magnétique extérieur) et d’une couche fortement coercitive (elle ne se retourne que dans un champ Hc fort) séparée par une barrière non magnétique. Si les couches ont des aimantations opposées, la résistance est nettement plus forte que lorsque les aimantations sont parallèles. On obtient donc une sorte d’interrupteur qui signale champ positif-champ négatif.

Ce type de capteur est donc particulièrement bien adapté à la lecture de données binaires d’un disque dur, par exemple. La barrière idéale est une couche très fine qui ne dépolarise pas les électrons et qui supprime tout couplage entre couches magnétiques. C’est pour cela que les gens cherchent maintenant à fabriquer des vannes de spins, initialement entièrement métalliques, avec une barrière intermédiaire isolante. Les électrons peuvent tout de même passer par effet tunnel mais cette barrière détruit efficacement les couplages entre couches magnétiques.


Pour en savoir plus :

M. Viret et al., Europhys. Lett. 39, p. 545 (1997).
J.M.D. Coey et al, Advances in physics

Contact :

M.Viret.

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Phases Magazine N° 20
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