... Phases Magazine N° 19
SPIN UP, SPIN DOWN

MAI 1999 N° 20

Feu vert aux atomes


Photo : Image STM (1000 Å x 1000 Å) obtenue à température ambiante et sous ultravide d'une surface Cu (001) après 300 tirs laser de lumière verte. A cette température, adatomes et lacunes créés par la lumière sont mobiles et forment des îlots. La production massive d'adatomes et de lacunes après irradiation prolongée conduit à une restructuration de la surface sous forme de nano-objets pyramidaux.

Une équipe du Service de Recherche sur les Surfaces et l'Irradiation de la Matière (SRSIM) s'intéresse à l'action de la lumière sur la réorganisation de surfaces de cuivre à l'échelle nanométrique.

La fabrication de nanostructures (c'est-à-dire la formation de motifs structuraux à l'échelle    nanométrique) et l'exploitation de leurs propriétés physiques spécifiques représentent un des grands domaines de la recherche, sur le plan fondamental et appliqué. La nanostructuration peut être obtenue par croissance de couches minces sur des surfaces (Molecular Beam Epitaxy, MBE), soit par auto-organisation des matériaux déposés, soit par croissance guidée sur des surfaces préstructurées. Outre les techniques MBE, l'action d'un faisceau de lumière peut  également mener à une formation de motifs à l'échelle nanométrique.

La lumière absorbée par les métaux est généralement totalement transformée en chaleur en quelques picosecondes car les excitations électroniques sont délocalisées et de courtes durées de vie. A ce jour, les changements structuraux induits par la lumière à la surface de métaux sont irréversibles et attribués aux phénomènes de contraintes thermiques et/ou fusion de surface.

J. Ernst, F. Charra et L. Douillard du SRSIM ont décidé d'aller y voir de plus près, c'est-à-dire à l'échelle de l'atome, en utilisant la diffraction d'atomes d'hélium et le microscope à effet tunnel (STM) pour la caractérisation structurale. Une surface de Cu a été soumise à des impulsions laser vertes (l = 532 nm) et infrarouges (l = 1064 nm) d'une intensité dix fois moindre que celle qui conduit à une dégradation irréversible des surfaces à grande échelle.

La réflectivité d'atomes d'hélium est un moyen très sensible pour détecter des changements structuraux à la toute première couche atomique des matériaux. Les faisceaux laser et hélium sont simultanément dirigés vers un échantillon de Cu (111). La figure montre la réflectivité d'atomes d'hélium pendant l'illumination par le laser (l = 532 nm). Toute les dix secondes, la réflectivité décroît  en escalier suite à chaque impulsion laser. La lumière produit des changements structuraux cumulatifs à l'échelle atomique, dont la nature a été identifiée comme la création de paires adatome (atome déplacé en surface)-lacune.

 Cette expérience a été effectuée à une température constante de 90 K, température à laquelle adatomes et lacunes sont essentiellement immobiles et ne forment donc pas d'îlots. Ceci permet de déterminer le rendement du phénomène : ainsi pour de faibles concentrations d'adatomes et de lacunes (donc après la première impulsion laser), il faut environ 10000 photons absorbés pour produire une paire adatome - lacune à la toute première couche atomique pour une fluence incidente de 114 mJ/cm2.


Figure :  Réflectivité d'atomes d'hélium sur la surface de Cu (111) à une température de 90 K. Les faisceaux hélium et laser sont simultanément dirigés vers la surface à une cadence de tir de 0,1 Hz pour le laser. Synchrone avec les tirs laser, la réflectivité d'atomes d'hélium décroît en escalier suite à la production d'adatomes et de lacunes, par la lumière verte. Paramètres expérimentaux : laser l = 532 nm à 114 mJ/cm2 en 10 ns, polarisation linéaire et incidence normale. La longueur d'onde des atomes d'hélium est l =0.58 Å.

A température ambiante, les paires adatome-lacune, créées par la lumière verte sont mobiles et forment des îlots. Après une irradiation prolongée, donc après la création massive d'adatomes et de lacunes, ils s'auto-organisent sous forme de pyramides de quelques nanomètres (nano-objets), comme les images STM le démontrent (photo). L'origine de ce phénomène est cinétique : les adatomes peuvent diffuser latéralement, mais lorsqu'ils arrivent aux bords des îlots, il leur faut vaincre une barrière énergétique de diffusion "verticale" plus grande (barrière dite Ehrlich-Schwöbel). Les adatomes et les lacunes sont donc confinés au niveau auquel ils ont été créés.

La lumière verte conduit donc à d'importantes modifications structurales réversibles à l'échelle nanométrique sous forme de motifs pyramidaux et ce malgré un faible échauffement provoqué par le laser, de quelques dizaines de degrés K seulement.

Encore plus surprenant, pour une même énergie optique absorbée, la lumière infrarouge n'occasionne aucun changement structural. Cette différence inattendue entre l'action de la lumière verte et infrarouge indique sans ambiguïté, que la nanostructuration relève ni de la montée transitoire en température induite par le laser, ni de gradients de température. L'excitation électronique primaire joue ici un rôle capital. La lumière verte excite donc un état électronique localisé et d'une durée de vie suffisante pour se coupler aux mouvements des atomes (période de vibration typique de l'ordre de 100 fs). Cet état est inaccessible à la lumière infra-rouge. Cette proposition est corroborée par l'identification (Cao et al., Phys. Rev. B 56, 1099 (1997)) d'une excitation interbande d'électrons d localisés et d'une "longue" durée de vie de 70 fs dans le Cu.

Le laser peut donc induire la nanostructuration de ces surfaces métalliques, à une échelle spatiale bien inférieure à la longueur d'onde de la lumière utilisée. Cette restructuration est radicalement différente des endommagements irréversibles préalablement observés, car il suffit de porter la surface pendant quelques minutes à une température supérieure à 500 K pour la lisser totalement. Utiliser ces surfaces comme masque pour piloter la croissance d'autres matériaux sera la prochaine étape à franchir.


Pour en savoir plus :

H.-J. Ernst, F. Charra, L. Douillard, Science 279 (1998) 679

Contacts :

H.-J. Ernst, F. Charra, L. Douillard.

Le Comité de rédaction


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Transport électronique à travers un atome...