... RAMSES II au pays des mayas

SEPTEMBRE 1995 N°14

  Les multicouches
au service des neutroniciens

En physique du solide on utilise couramment les faisceaux de neutrons pour les mesures des propriétés des matériaux. Ces mesures sont effectuées autour de gros instruments comme le réacteur Orphée à Saclay. Afin d'augmenter le nombre d'appareils installés autour d'un réacteur, on peut transporter sur quelques dizaines de mètres les neutrons qu'il produit dans des guides à neutrons. Cette technique est utilisée depuis de nombreuses années au LLB. Nous allons maintenant voir comment les performances des guides peuvent être améliorées de manière spectaculaire par l'utilisation d'un revêtement multicouches.

 La source de neutrons

Le réacteur Orphée est conçu pour être une source de neutrons de faible énergie. En effet, les neutrons rapides produits par la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur sont ralentis par chocs successifs dans le modérateur. Ils finissent par atteindre un équilibre dans lequel ils ont une énergie voisine de celle de l'agitation thermique du modérateur du réacteur. A cette énergie correspond une longueur d'onde. Dans le cas habituel d'un modérateur à 50°C constitué d'eau, on obtient des neutrons dits 'thermiques' qui présentent une distribution en longueur d'onde centrée sur 0,1 nm. Cependant, de nombreuses expériences nécessitent, soit des neutrons de plus courte longueur d'onde (d'énergie plus importante), soit des neutrons de longueur d'onde plus grande (énergie plus faible). Le flux de neutrons thermiques contient très peu de ces neutrons. Il faut donc procéder à un 'enrichissement' en remplaçant localement le modérateur du réacteur par un modérateur à haute température qui peut être du graphite porté à 1000°C (source chaude), ou un modérateur à basse température, de l'hydrogène liquide par exemple (source froide). On obtient ainsi des neutrons 'chauds' de courte longueur d'onde centrés autour de 0,05 nm, ou des neutrons 'froids' de grande longueur d'onde centrés autours de 0,4 nm.

Courbes caractéristiques des différents revêtements des guides à neutrons : sur ces courbes est représenté le rapport de l'intensité réfléchie sur l'intensité incidente en fonction de l'angle d'incidence des neutrons avec la surface.

1- Une couche épaisse de nickel (300 nm). Tous les neutrons arrivant sur la surface avec un angle inférieur à l'angle critique sont réfléchis. C'est le plateau de réflexion totale. Pour des angles d'incidence supérieurs, ils sont en partie transmis, en partie réfléchis.

2- Une multicouche périodique d'un matériau réflecteur comme le nickel (11 nm) et d'un matériau espaceur comme le titane (11 nm) surmonté d'une couche épaisse de nickel. On retrouve le plateau de réflexion totale du cas précédent, mais en plus, un phénomène d'interférences constructives entre les ondes réfléchies par les couches de nickel, crée un pie de réflexion pour un angle d'incidence particulier supérieur à l'angle critique. C'est cet effet qui va être utilisé pour prolonger le plateau de réflexion totale.

3- Une multicouche non-périodique de nickel et de titane surmonté d'une couche épaisse de Nickel. On arrive ainsi à créer une série de pics dans le prolongement du plateau de réflexion totale. La somme de ces pics donne une extension au plateau de réflexion totale. On obtient ainsi un angle critique apparent beaucoup plus grand. Plus l'extension est importante, plus les couches doivent être nombreuses et fines.

Analyse d'un guide à neutrons

Un guide à neutrons est un tube creux, vide d'air, de section rectangulaire. Les surfaces internes du tube sont parfaitement polies et recouvertes d'une fine couche de matériau réflecteur. Le guide est en général réalisé en verre épais recouvert de nickel par dépôt sous vide. Les neutrons se propagent dans le guide par réflexion totale sur les parois comme dans un guide de lumière. De cette façon, on peut transporter les neutrons avec peu de pertes sur des distances de l'ordre de quelques dizaines de mètres. Ceci permet de créer une sorte de réseau de distribution de neutrons autour des sources intenses, et ainsi de multiplier le nombre d'appareils installés sur une même source. Cette technique élégante a toutefois une limitation essentielle : du fait des caractéristiques de l'interaction neutron matière, la différence d'indice entre le vide et le matériau réflecteur est très faible. L'angle maximum de réflexion totale, appelé angle critique, est donc également très petit.

La faible valeur de l'angle critique a deux conséquences importantes. La première est de limiter la courbure que l'on peut donner à un guide. On doit utiliser des rayons de courbure de plusieurs centaines de mètres qui conduisent à des guides qui sont pratiquement droits. Ceci impose des contraintes dans l'agencement des spectromètres installés autour de ces guides. La seconde conséquence est de limiter la divergence du faisceau transmis par le guide à la valeur de cet angle critique. Or, le flux de neutrons traversant une surface donnée est proportionnel au carré de la divergence du faisceau. Ainsi, le flux disponible sur un appareil installé sur un guide sera a priori plus faible que celui obtenu sur un appareil disposé directement autour de la source de neutrons. En effet, dans ce cas, la divergence du faisceau n'est limitée que par des considérations de géométrie et de radioprotection.

De plus, l'angle critique est proportionnel à la longueur d'onde associée au neutron. On a donc une mauvaise transmission des neutrons de courte longueur d'onde, limitant actuellement l'utilisation des guides à neutrons au transport des neutrons froids de grande longueur d'onde (> 0,3 nm). Ceci interdit de fait l'installation sur les guides de tous les appareils destinés à la mesure de grands vecteurs de diffusion qui nécessitent l'usage de courtes longueurs d'onde. Par contre, du fait de l'éloignement de la source que permettent les guides, on y mettra de préférence les spectromètres encombrants, ou réclamant un faible bruit de fond.


Figure 1: Mesure du gain apporté par l'utilisation d'une multicouche de type supermiroir à 2q c par rapport à une couche de nickel naturel pour une longueur d'onde de 0,1 nm. Le supermiroir comme la couche de nickel réfléchissent les neutrons atteignant la surface avec un angle inférieur à 0,11 degré, mais seul le supermiroir réfléchit les neutrons ayant un angle d'incidence compris entre 0,11° et ,.2°.

Amélioration

Comme on vient de le voir, l'angle critique du matériau réflecteur, appelé qc est le paramètre clé sur lequel on doit jouer pour augmenter les performances des guides à neutrons. Celui-ci ne dépend que de la densité du matériau et de la longueur de diffusion des éléments le constituant. Une fois le bon élément trouvé, les améliorations possibles restent très faibles. Un des meilleurs réflecteurs naturels est le nickel qui donne un angle critique de 0,5° pour une longueur d'onde de 0,5 nm. L'utilisation d'un isotope du nickel, le 58Ni, permet d'augmenter l'angle critique jusqu'à 0,6°. La plupart des guides à neutrons actuellement en service dans les différents réacteurs sont réalisés à l'aide d'un revêtement de ce type.


Figure 2 : Distribution de l'intensité obtenue à l'extrémité de deux guides de caractéristiques voisines, mais l'un utilisant un revêtement en supermiroir à 2q c (G5-bis) et l'autre réalisé en 58Ni (G3-bis).

Pour aller beaucoup plus loin, on doit faire appel à la technologie des multicouches (voir encadré). Dans ce cas on obtient un angle critique apparent beaucoup plus élevé, et qui surtout, ne dépend que de la capacité du fabricant à réaliser de façon reproductible des couches très fines de bonne qualité. Les possibilités de progression sont donc importantes. Actuellement on arrive à déposer industriellement sur de grandes surfaces (15 x 50 cm) des revêtements présentant un angle critique apparent double de celui du nickel naturel (Fig. 1), c'est à dire ayant un angle critique de 1° pour une longueur d'onde de 0,5nm. De telles surfaces sont communément appelées supermiroirs à 2qc. Des essais sont en cours pour la production de supermiroirs à 3qc donc présentant un angle critique apparent triple de celui du nickel naturel.

Cette technologie a été mise à profit au LLB pour la construction du nouveau guide G5-bis. Comme on peut le voir sur la figure 2, comparé à un guide de géométrie voisine réalisé en 58Ni, on obtient un gain de l'intensité transmise d'environ 65 %.


Contact :

A. Menelle.

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Phases Magazine N° 15
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