... Phases Magazine N° 14
Les multicouches au service des neutroniciens

MAI 1996 N° 15

Voyage au cœur du ciment

La poudre de ciment industrielle la plus utilisée est formée principalement de Silicate Tricalcique (appelé C3S dans le langage des cimentiers). On y trouve aussi en proportions notables du Silicate Dicalcique, des aluminates de calcium ainsi que du gypse. Ce mélange est finement broyé. Lorsque l'on mélange la poudre de ciment à l'eau, des réactions chimiques de dissolution-précipitation conduisent à la formation de grain de silicates de calcium hydratés (CSH) et à d'autres composés notamment la portlandite (hydroxyde de calcium). Les grains de CSH se lient alors entre eux: la prise a eu lieu (Fig. 1).


Figure 1 : Évolution de la poudre de ciment lors de I'hydratation a) dissolution des grains de C3S, b) précipitation de CSH à la surface des grains et entre les grains, (début de la prise 24 heures), c) le grain de C3S a presque totalement réagi

On sait actuellement fabriquer des ciments de très bonne qualité (fluidité de la pâte de ciment avant la prise, vitesse de celle-ci, résistance mécanique ...) en jouant sur les compositions et la granulométrie des broyages. Pour faire encore des progrès, il apparaît maintenant nécessaire de mieux comprendre les mécanismes de la prise à l'échelle atomique. Ceci passe par une description de la structure microscopique des ciments obtenus et du rôle d'éléments annexes comme l'aluminium sur cette structure.

Du point de vue du physicien, un ciment se présente comme un système très complexe, bien loin des composés modèles étudiés habituellement: il est désordonné et hétérogène avec des cristaux de quelques nanomètres (10-9 m) de compositions chimiques différentes et contient des pores remplis d'eau de tailles très différentes.


Figure 2 : Spectre de résonance magnétique du 29Si dans un CSH. Les pics Q0, Q1 et Q2 correspondent à des tétraèdres Si O4 reliés à 0,1 ou 2 autres tétraèdres

Figure 3 : structure de la tobermorite.

La Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) du solide (voir encadré), en tant que sonde microscopique de la structure apparaît comme un outil de choix pour arriver à faire le tri dans ce système. Cette technique est en effet uniquement sensible à l'ordre local (quelques distances atomiques) et est sélective car dépend de l'élément atomique. La présence de beaucoup d'eau dans le ciment ne gène en rien son utilisation.

Au sein du groupe de RMN solide SCM-SPEC, nous étudions deux aspects de ce problème : d'une part décrire la structure des CSH, ensuite comprendre comment évolue cette structure sous l'action d'une dégradation due à un ruissellement d'eau. Ceci est important pour mieux prévoir le comportement à long terme du ciment utilisé pour stocker les déchets nucléaires.

Nous nous sommes d'abord focalisés sur un ciment "modèle" formé uniquement de CSH. La RMN du 29Si permet dans un premier temps de déterminer le nombre d'atomes de 29Si (0,1,2,3 ou 4) accrochés à l'atome de 29Si observé. On peut en déduire une longueur moyenne des chaînes.

Quand on mouille une poudre de ciment, les silicium(Q0) du C3S disparaissent et les chaînes de silice se forment (Q1 et Q2). La comparaison des spectres de diffraction de rayons X montre que la structure de ces CSH est très proche de la structure d'un minéral naturel, la tobermorite (Fig. 3). La RMN du 29Si, 1H, 43Ca permet de préciser comment cette structure modèle se modifie en fonction du rapport Ca/Si. La structure générale en assemblage de microfeuillets se conserve, avec apparition de nombreux défauts (coupure de chaînes, insertion de calcium entre les feuillets). On étudie aussi par RMN de 1H le positionnement et la mobilité des hydrogènes des groupes hydroxyles et de l'eau.

Dans un deuxième temps, nous allons étudier quel est la place de l'aluminium dans cette structure et comment il modifie le comportement des ciments lors de leur dégradation par l'eau. Ainsi, nous nous rapprocherons de plus en plus du ciment réel servant notamment au stockage des déchets.

La Résonance Magnétique Nucléaire

Certains noyaux d'atomes portent un moment magnétique non nul appelé spin nucléaire. Lorsque ce moment est mis dans un champ magnétique extérieur et qu'il n'est pas aligné à celui-ci, il se met à précesser autour de la direction de ce champ, créant un champ magnétique tournant qui peut être détecté. La fréquence de rotation de ce spin est appelée fréquence de Larmor et dépend de la nature du noyau, l'hydrogène par exemple tourne à une fréquence de 42 Mhz par Tesla.

La résonance magnétique nucléaire consiste à exciter par un champ de radiofréquence proche de sa fréquence de Larmor, I'espèce de spin à étudier et de mesurer sa réponse.

L'intérêt de cette technique vient du fait que dans des solides ou des liquides, I'environnement local déplace très légèrement la fréquence de résonance, on peut ainsi discriminer pour une même espèce d'atome, les différents environnements existants.

En modulant en phase et en amplitude le champ radiofréquence, on sélectionne les informations que l'on veut recueillir: distances entre noyaux voisins, existence de mouvements, ...

Largement développée pour l'étude des molécules chimiques ou biologiques en phase liquide, elle reste dans les solides plus délicate en raison de la multiplicité des couplages existants.

Pour obtenir un spectre bien résolu dans les solides, il faut coupler des trains d'impulsions souvent simultanées sur plusieurs noyaux, avec des rotations rapides de l'échantillon.


Pour en savoir plus:

Cement chemistry, H.F.W Taylor Academic Press 1990 Londres.

Contacts :

Y. Klur, J. Virlet, J.F. Jacquinot.

Le Comité de rédaction


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