Les cyclodextrines : des écrins moléculaires ...

JUIN 1992 N°9

L'électronique à un électron

En 1911, Millikan mesurait pour la première fois la charge de l'électron en observant la chute de gouttelettes d'huile. Une équipe du SPEC est maintenant capable de contrôler le transfert d'électrons un par un dans des dispositifs submicroniques.

Les électrons dans un métal forment un gaz dégénéré où l'extension de leur fonction d'onde est plus grande que la distance qui les sépare : ils sont en quelque sorte fondus les uns dans les autres. Pour cette raison, le caractère discontinu du courant électrique est masqué dans un métal et même dans un semi-conducteur.

Le contrôle du passage des électrons un par un, est néanmoins possible en combinant deux phénomènes : le franchissement d'une barrière de potentiel par effet tunnel et la répulsion coulombienne entre électrons.


Figure 1 : Boîte à électrons. Ce circuit de base est formé d'une jonction tunnel de capacité C, d'un condensateur Cs et d'une source de tension U. Il comporte une île métallique (pointillés) dont la charge électrique (nombre n d'électrons en excès) est contrôlée par U.

La boîte à électrons.

Le circuit élémentaire, appelé "boîte à électrons", permettant de contrôler leur passage est représenté sur la figure 1. Ce circuit se compose d'une jonction tunnel reliée à une capacité Cs

Le rôle de la jonction tunnel (voir encadré) est de permettre la séparation d'un électron du reste du gaz électronique du métal, les électrons passant un à un à travers la barrière isolante. La partie comprise entre les deux capacités s'appelle une île. Sa charge q est proportionnelle au nombre n d'électrons ayant franchi la barrière tunnel : q = ne.

La tension U, appliquée aux bornes du circuit, va déterminer la charge de l'île. On peut alors définir deux régimes :


Figure 2 : Valeur moyenne du nombre d'électrons en excès dans l'île de la boîte à électrons à température nulle (A), à basse température (B) et à haute température (C).

A haute température, l'énergie d'un électron sur l'île (E=e2/2(Cs+C)) est petite devant l'énergie des fluctuations thermiques kBT. Les électrons entrent et sortent facilement de l'île dont la charge moyenne <n>e est alors donnée par CsU.

A très basse température, c'est-à-dire lorsque kBT<<E, <n> prend la valeur entière la plus proche de CsU/e. <n> est donc une fonction en escalier de la tension U présente aux bornes du système (Fig. 2).

La condition kBT<<E nécessite des capacités de l'ordre du femtofarad (10-15F ) et des températures bien inférieures au Kelvin.

Une jonction tunnel est constituée d'une couche d'isolant très fine, quelques Angstrœms, prises en sandwich entre deux électrodes métalliques.

Une telle jonction se comporte comme une résistance, appelé résistance tunnel, en parallèle à une capacité C. Si cette résistance est grande devant h/e=26 kW, la délocalisation quantique des électrons du métal ne peut se propager à travers la barrière isolante et le passage du courant se fait électron par électron.


Figure 3 : Transistor SET polarisé par une tension V et soumis à une tension de grille U.

Le transistor SET

La boîte à électrons est la base des circuits à un électron. Le premier circuit a été réalisé par Fulton et Dolan en 1987 grâce à l'association de deux boîtes à électrons. Ce système représenté à la figure 3 est appelé transistor SET ("Single Electron Tunneling").

Ce circuit est une association de deux boîtes à électrons, G et D. Si l'on considère la jonction gauche, le nombre entier <n> doit prendre la valeur la plus proche de Cs(U+V/2)/e. Pour la jonction droite, il doit être le plus proche possible de Cs(U-V/2)/e. Pour CsU voisin de (n+l/2)e, ces deux conditions sont incompatibles et le circuit est instable : la jonction gauche laisse entrer un électron et la jonction droite le laisse échapper (Fig. 4) permettant au cycle de recommencer.


Figure 4 : Configurations du transistor SET stables vis-à-vis du transfert de charge à travers une des jonctions G et D de la figure 2. Les deux courbes (a) représentent le nombre d'électrons en excès qui minimise l'énergie totale en considérant soit la jonction gauche seule, soit la jonction droite seule. Lorsque ces deux courbes ne coïncident plus, un courant I traverse le transistor (b).

A partir d'un transistor SET, il est possible de réaliser un électromètre un million de fois plus sensible que les électromètres classiques. Un dispositif réalisé au SPEC permet d'observer directement la quantification de la charge électrique d'une île et le temps de présence d'un électron sur l’île. Un résultat expérimental est donné à la figure 5.


Figure 5 : Courant I dans un transistor SA, branche comme électromètre sur l'île d'une boîte à électrons comportant non pas une jonction mais quatre jonctions tunnel en série. Les sauts correspondent à un excès ou à un défaut d 'un électron sur l'île.

Le futur

Des résultats expérimentaux restent inexpliqués. Par exemple, des expériences réalisées avec des supraconducteurs donnent des résultats surprenants : les électrons passent un par un et non par paires dans la jonction tunnel et le temps de transfert est plus court dans l'état supraconducteur que dans l'état normal.

La monoélectronique laisse entrevoir la possibilité d'un traitement et d'un stockage de l'information beaucoup plus économique en électrons et donc en consommation d'énergie grâce à une forte augmentation de la compacité des circuits. Cette perspective ne pourra toutefois se concrétiser que lorsque l'on saura réaliser des jonctions de taille moléculaire fonctionnant à haute température.


Pour en savoir plus :

" L'électronique à un électron", M. DEVORET et coll., Images de la Physique 1991, p. 85
" Frequency - Locked Tumstile Device For Single Electons", L . GEERLIGS et coll, Phys. Rev. Lett 64,1990,p. 2691
" Observation directe de la quantification de la charge macroscopique : une expérience de Millikan dans un dispositif électronique submicronique", P. LAFARGE et coll., C.R.A.S. 314 II, 1992, p.883

Contacts :

M. DEVORET, D. ESTEVE, C. URBINA.

Le Comité de rédaction


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