...Phases Magazine N° 3
Au-delà de l'effet Hall quantique : un solide de Wigner

OCTOBRE 1990  N°4

Les complexes de van der Waals :
Une autre façon d'aborder l'étude de la réactivité chimique.


Table 1 : ordres de grandeur de quelques types de liaisons entre molécules.

Les complexes de van der Waals sont des systèmes moléculaires crées par l'homme dont l'étude récemment développée permet d'aborder un grand nombre de problèmes fondamentaux de la physique moléculaire et de la photochimie.

En collaboration avec une équipe du Laboratoire de Photophysique Moléculaire à Orsay une équipe du SPAS en a étudié la réactivité chimique et a mis en évidence pour la première fois des résonances dans la réaction d'un complexe de van der Waals.


Figure 1 : Vue de la chambre d'expérience où sont focalisés les faisceaux du laser d'évaporation (en vert) et du laser provoquant la réaction (en bleu).

Tout le monde connaît les molécules comme H2O, O2 ou CH4 où les forces de liaison entre atomes sont grandes (plusieurs eV, voir table 1). Il existe des systèmes moléculaires avec des liaisons plus faibles, les liaisons hydrogène. Ce sont les forces qui unissent deux molécules d'eau entre elles. Enfin, il est possible de créer et stabiliser des molécules très inhabituelles avec des liaisons encore plus faibles (moins de 0,1 eV) qui sont dues à des forces du type van der Waals résultant d'une polarisation réciproque des nuages électroniques des constituants. Ces molécules notées  X...Y par exemple Ar...Ar, Xe...Cl, Ar...HCl ... sont appelées complexes de van der Waals.

A cause de la faible interaction entre les deux parties du complexe, chacune garde son identité. Ainsi un complexe du type Ar... HCl peut être considéré comme la juxtaposition d'un atome d'argon et d'une molécule de HCl qui sont peu perturbés, alors que l'atome de chlore dans la molécule de HCl n'a pas du tout les mêmes propriétés que celle d'un atome de chlore isolé. La différence vient du recouvrement très faible des nuages électroniques entre les deux parties d'un complexe, alors que ce recouvrement est très important dans le cas d'une liaison chimique traditionnelle. 


Figure 2 : structure de quelques molécules de van der Waals (figure tirée de la référence de G.E. Ewing).

La figure 2 montre la structure de quelques complexes et donne une image de ces recouvrements.

Les systèmes faiblement liés comme les molécules de van der Waals présentent actuellement beaucoup d'intérêt en raison des retombées possibles dans des domaines aussi divers que les études des interactions au cœur des liquides, entre molécules et surfaces, dans les agrégats moléculaires, ... Les complexes de van der Waals permettent également une approche originale de la réactivité chimique. En effet, former un complexe à partir de deux molécules pouvant réagir entre elles revient à positionner deux réactifs l'un par rapport à l'autre. Cette dernière possibilité nous a intéressés plus particulièrement.

Dans le cadre d'une collaboration entre notre Service et le Laboratoire de Photophysique Moléculaire à Orsay, nous avons lancé un programme de recherche sur les complexes de van der Waals. On se propose d'apporter dans un complexe une quantité d'énergie considérable par l'intermédiaire d'un photon (10 à 100 fois l'énergie de la liaison de van der Waals) et de voir comment cette énergie va se redistribuer dans le système. On constate que la redistribution de l'énergie ne se traduit pas simplement par la rupture de la faible liaison mais que les produits formés ont une nature chimique différente de ceux qui composaient le complexe initial.

En partant d'un complexe et en le projetant dans un état excité, on provoque une réaction chimique avec la position initiale des réactifs déterminée par la géométrie d'équilibre du complexe. En faisant varier la fréquence de la lumière d'excitation, on contrôle la quantité d'énergie déposée dans le système et, par conséquent, l'impulsion initiale donnée aux réactifs. Cela permet de sonder localement la surface du potentiel d'interaction entre les réactifs au voisinage de la géométrie d'équilibre du complexe. Cette méthode est très complémentaire d'autres expériences effectuées dans notre service dans lesquelles on mesure des quantités moyennes sur l'ensemble de la surface ce qui donne une vue plus globale de la réaction.

Nous avons ainsi étudié la réaction :

Ca* + HCl -> CaCl* + H

entre un atome de calcium excité et une molécule de HCl pour former une molécule de CaCl excitée en partant du complexe Ca...HCl. La production des complexes Ca...HCl a été rendue possible par l'utilisation de deux techniques performantes qui sont une détente supersonique couplée à un système d'évaporation laser. La figure 1 montre le dispositif utilisé. Une première impulsion laser permet d'évaporer du calcium dans une vapeur de HCl, puis le mélange Ca et HCl est détendu dans le vide. Le refroidissement consécutif à la détente conduit à la formation des complexes. Ensuite, une seconde impulsion laser de fréquence variable provoque la réaction chimique de la façon suivante :

Ca...HCl + hv -> (Ca...HCl)*-> CaCl* + H


Figure 3: Intensité de la lumière émise par les molécules CaCl* formées par la réaction du complexe de van der Waals Ca...HCl en fonction de la fréquence du laser d'excitation du complexe.

La figure 3 présente les résultats de cette expérience. Elle montre l'intensité de désexcitation des molécules de CaCl* formées en fonction de la fréquence du laser qui excite le complexe.

Le résultat le plus marquant qui apparaît sur la figure est la présence de maxima d'intensité (résonances) pour certaines fréquences du laser. Ces résonances mises en évidence pour la première fois correspondent à différents mouvements de vibration du complexe excité induits par le laser. La largeur de ces résonances donne une idée du temps que met le complexe pour réagir (cela résulte du principe d'incertitude). L'observation de différentes largeurs, donc de différents temps de réaction, montre que les différentes vibrations n'ont pas le même effet sur la réactivité. L'excitation sélective de ces modes et l'étude de leur effet sur la nature ou l'état interne des produits formés ouvrent beaucoup de possibilités, par exemple la maîtrise et l'orientation des réactions chimiques à l'aide d'un laser.


Pour en savoir plus :

G.E. Ewing, "Structure and Properties of van der Waals Molecules", Accouat of Chemical Research 8, 185 (1975).
C. Jouvet, M.C. Duval, B. Soep, W.H. Breckenridge, C. Whitmam et J.P. Visticot, "Orbital orientation in van der Waals reactions", J. Chem. Soc. Faraday Trans. 85, 1133 (1989).

Contacts :

J.P. Visticot, DPhG / PAS.
B. Soep, LPPM, Univ. Paris-Sud.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 4
Un cristal moléculaire frustré : Phasons et amplitudons du biphénile ...