Les complexes de Van der Waals :
une autre façon d'aborder l'étude de la réactivité chimique ...

OCTOBRE 1990  N°4

Un cristal moléculaire frustré : Phasons et amplitudons du biphénile.

La matière peut être frustrée, elle aussi ... Une façon (pour elle) de s'en sortir est de moduler l'empilement régulier des atomes ou des molécules : on obtient alors une structure "incommensurable". Une équipe du LLB, en collaboration avec l'Université de Rennes, a étudié les étranges vibrations de phase (phasons), et d'amplitude (amplitudons) qui apparaissent alors.

Un jouet bien connu (et présenté à la Cité des Sciences de la Villette ... mais est-ce un gage de sérieux ?) consiste en un ensemble d'engrenages que l'on dispose sur un plan. Dans ce cas, il s'agit de déterminer le sens de rotation du dernier engrenage par rapport au premier. Tous les lecteurs auront résolu ce problème aisément jusqu'à ce qu'on leur propose de rapprocher excessivement plusieurs engrenages (Fig. 1).

Depuis les expériences de Von Laue en diffraction de rayons X, on sait que beaucoup de matériaux sont cristallisés, c'est-à-dire que les atomes ou les molécules qui les composent sont ordonnés régulièrement à 3 dimensions comme un carrelage (Fig. 2). Les exemples sont innombrables. Cependant ces dernières années on a trouvé divers exemples de cristaux qui sont seulement "presque parfaitement ordonnés" à 3 dimensions.


Figure 1 : Modèle d'engrenages pour les anneaux phényles : frustration de l'anneau 3 engrené avec les anneaux 1 et 2.

Figure 2 : Structure du biphényle : maille élémentaire dans la phase "haute température" (phase 1 ; groupe spatial P21/a C5/2h ). A droite : molécule isolée.

En vérité, pour bien les décrire il faudrait les plonger dans un espace de dimension supérieure. Considérons la molécule de biphényle (Fig. 2). Les hydrogènes les plus proches des 2 cycles aromatiques se repoussent farouchement, engendrant une torsion de la molécule. Tant qu'on est à température assez haute les molécules parviennent à conserver en moyenne un ordre parfait grâce à l'agitation thermique qui apporte des soubresauts salvateurs.

Mais à très basse température il n'en est pas de même, le cristal ne peut plus sauvegarder sa structure qui est incompatible avec la torsion préférée de la molécule. De temps en temps une molécule se tord autrement, mais pas n'importe où ! Cela se fait de manière périodique à 1 dimension (phase III) ou 2 dimensions (phase II) (Fig. 3). Cette (ces) périodes(s) de modulation sont incommensurables avec la structure principale (c'est-à-dire : ce n'est pas une fraction simple).

 
Figure 3 : Diagramme de phase (T, P) du biphényle deutérié.


Figure 4 : Courbes de dispersion à partir de (QS1 = (2,07; 1,45; -0,13) dans les directions a et b : a) du mode mou à 1,9 kbar; b) des phasons et amplitudons a 1,2 kbar.

Au LLB (collaboration avec l'Université de Rennes) nous nous sommes posé le problème de la nature des vibrations associées à la phase (phason) et à l'amplitude (amplitudon) de la modulation incommensurable. Et on a pu les observer de manière particulièrement nette en se déplaçant dans le diagramme de phase (T, P) à 3 degrés Kelvin vers 1,8 kbar. On observe pour la phase II du biphényle (Fig. 4) un mode de phase p et 2 modes de type amplitudons G1, G2 (phase doublement incommensurable). Comme pour les phonons, la fréquence du phason s'annule à très petit vecteur d'onde. Mais la vitesse des phasons est en général plus basse que celle des phonons (du son).

Grâce au faible amortissement des modes observés sous pression, une modélisation précise a pu être faite. Ces mesures étaient les premières dans une structure aussi complexe.


Références :

- Thèse de P. LAUNOIS (1987).
- Phys. Rev. B 36 (1987), 8951.
- Phys. Rev. B 40 (1989), 5042.

Contact :

- F. MOUSSA, LLB.
- H. CAILLEAU, Université de Rennes 1.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 5
La première image gamma du cœur de la Voie Lactée ...