Isis, l’amante intemporelle

Isis, l’amante intemporelle

Les mystères du rouge ciel s’engorgent. La nuit est belle, l’avez-vous vue ? Les chemins, sable ou rivière, s’écroulent sur le sel… de la vie. Tu me manques. Pas une drogue, un opium, un rêve ou un délire ne m’amènera jamais plus loin que ça. Ça, ce qui traîne loin dans un coin, un repli de ma mémoire. Le mystère plane, rauque et rose. J’aime regarder la nuit vous savez.

Plonger mon regard clair dans ses orbites vides, et scruter l’avenir, le passé ou la fin des temps. J’avais des visions petite. Je voyais le monde en deux, je veux dire en double. Il y avait le monde réel là, gris ou blanc, vrai ou faux, un peu bruyant, terne ou fort. Et puis l’autre en surimpression.

Portais-je mon regard sur un arbre ? Il devenait forêt, royaume sylvestre d’une nuée d’elfe ou de nain. Un caillou était une falaise, un nuage un cheval céleste, un regard un défi, un sourire une défaite. Je buvais silencieusement l’élixir que distillait la pluie. Je croyais que cette potion me ferait grandir plus vite. J’allais dans les pelouses cueillir les trèfles vieux. Ceux à quatre feuilles ne m’intéressaient pas. J’aimais la vie à cause du vent, de la mer ou du ciel, de la force de chacun de ses éléments sur mon corps frémissant. J’aimais et je haïssais ma solitude, comme une terrible mission qu’on m’aurait confiée. Je cherchais dans le regard des autres un signe d’encouragement, d’approbation. Je ne rencontrai que l’indifférence et l’ennui. Il m’arrivait de sourire, comme ça, avec mon air un peu espiègle et rêveur. Les gens me regardaient comme une étrangère. Je pouvais passer de l’état d’abattement le plus mélancolique à une sorte de gaîté inépuisable, d’un silence morose et taciturne à un rire hystérique. Je vivais au coup par coup, chaque jour. Reine d’un royaume invisible, les chevaliers gantés au heaume étincelant m’accompagnaient sur le chemin de l’école. Mes vrais amis n’étaient ni vieux, ni jeunes, ni noirs, ni blancs. Ils avaient le regard des statues et l’âge de mes rêves, la couleur de l’enfance et la force de l’idéal. Je vivais dans l’attente des miens de ces chevaliers des étoiles qui descendraient de la nuit un jour pour m’emporter vers mon royaume incandescent. Je les appelais le soir, en sanglotant parfois, parce que le Mur m’effrayait. Ce mur était si haut, si solide. Je ne me souviens plus de la première fois ou je l’ai rencontré. Il faisait partie de mon quotidien, comme les visages double-facés du monde. J’en rêvais parfois la nuit, à l’heure de retrouver mes compagnons de jeux. Je crois bien que je n’ai jamais réussi à le franchir. Il bornait mon horizon de sa silhouette hautaine. Je vécus ainsi, jour après jour, année après année. Les événements forgeaient mon âme, et mon cœur, et je voyais partir mes amis, un par un, le long de la route. J’aimais parfois…avec la sérénité vaque et absolu d’un enfant. Jamais on n’a voulu de cet amour si entier. Je pleurais la nuit en demandant de l’aide. Je promettais des choses insensées, comme seuls les petits le peuvent. Je m’humiliais à dessein, me trouvais bête et stupide. Mais je ne voulais jamais quitter ma réalité. J’ai voyagé aussi, quitté mes proches, mon pays, la fatalité pour des contrées mystérieuses. Je crus être touchée par la grâce, trouver enfin l’aboutissement de ma quête de toujours. Ce n’étais qu’un leurre habilement monté par le destin.

Je suis revenue maintenant. Mes rêves de toujours ne se sont pas éteints, mais mon cœur a changé. J’ai toujours cette soif de donner, mais j’ai perdu l’amertume du regret. Je voudrais du bien au monde entier, rester une enfant au grand regard naïf. Je suis prête à toutes les blessures de la vie. Mon cœur me semble si grand que plus rien ne pourra le tarir. Je serai celle qui se donnera au monde.