Accélérations de particules par interaction laser-matière et applications

Introduction

Nous étudions les mécanismes d’accélération d’électrons et de protons déclenchés par l’interaction d’une impulsion laser à très haute intensité ( >1018 W/cm2, aussi appelé régime relativiste) avec des cibles solides ou gazeuses. Les sources de particules ainsi créées présentent des propriétés remarquables de brièveté, charge, énergie et émittance qui ouvrent de nouvelles perspectives dans les domaines de la physique des accélérateurs, de la radiobiologie et de la radiothérapie, ainsi que de l’imagerie.

Cibles structurées


L’interaction d’une impulsion laser dans le régime relativiste, à savoir pour des intensités supérieures à 1018 W/cm2, avec une cible solide ou gazeuse permet de générer des sources de radiation secondaire énergétiques et brillantes, étudiées depuis désormais des dizaines d’années en tant que possible alternatives aux accélérateurs conventionnels.

A des telles intensités, tout matériel irradié est transformé en plasma sur un temps de quelque cycle optique de l’impulsion laser. Les électrons libres ainsi obtenus peuvent gagner des vitesses proches de celle de la lumière, avec des énergies qui varient de quelques MeV à quelques GeV en fonction de la densité du plasma et du relatif régime d’interaction.

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Dans ce cadre, on définit « sur-critiques » les plasmas dont la densité dépasse la densité critique, c’est-à-dire la densité pour laquelle le plasma devient opaque à la longueur d’onde du laser utilisé. Typiquement, ces plasmas dont la densité est comparable à la densité du solide (ne ≥ 1023 cm3) sont obtenus en laboratoire en faisant interagir un faisceau laser très intense et de courte durée avec une cible solide. Longtemps cantonnées quasi exclusivement à la génération de sources de protons[1], les cibles solides permettent aussi de produire des sources d’électrons particulièrement adaptées au développement des guides d’onde, nano-circuits, bio-senseurs, techniques d’imagerie et dans le domaine de la femtolyse, de la radiobiologie et de la dosimétrie.

Ceci est dû à l’exploration de nouveaux régimes d’interactions entraînants la génération d’électrons plus énergétiques, nombreux et, dans certains cas, plus directionnels.

L’une de stratégies les plus suivies consiste à utiliser des cibles micro-structurées et notamment des réseaux de diffraction. Le couplage de ce type de cible avec le champ électromagnétique du laser excite des plasmons de surface qui sont des oscillations collectives des électrons à l’interface entre deux matériaux de constante diélectrique différente.

Dans le régime d’interaction relativiste les plasmons de surface sont excités lorsque le laser irradie la surface du réseau avec un certain angle d’incidence, dit angle de résonnance, qui dépende principalement du pas du réseau. D’un point de vue expérimental, le contraste temporel du laser doit être suffisamment élevé pour que l’intensité du piédestal, produit par l’amplification de l’émission spontanée le long de la chaîne laser, n’efface pas la périodicité de la cible avant l’interaction avec le pic de l’impulsion. Seulement le récent développement de techniques pour l’amélioration du contraste laser, comme le miroir plasma dont on dispose sur la chaine UHI100, a permis d’utiliser de cibles micro-structurées dans l’interaction laser-plasma à haute intensité.

C’est dans ce contexte que les expériences réalisées au CEA (Saclay, France) ont permis d’explorer l’excitation résonnante de plasmons de surface à intensités relativistes, en ouvrant la voie au tout nouveau domaine de la Plasmonique Relativiste[2].

L’accélération d’électrons provoquée par les plasmons de surface se distingue pour sa robustesse et la facilité de sa mise en œuvre. 

De plus, l’interaction non-linéaire entre l’impulsion laser et le plasma sur-critique aboutit aussi à la génération d’harmoniques de la fréquence laser. En particulier, les électrons du plasma qui oscillent à travers l’interface avec le vide réfléchissent le champ laser incident et provoquent un décalage en fréquence par effet Doppler.

C’est ce que nous avons mis en évidence avec la toute première observation expérimentale de cet effet : l’excitation d’un plasmon de surface s’avère être corrélée avec une augmentation des harmoniques émises le long de la tangente du réseau (jusqu’à ≥ 35!)[3].


[1] https://arxiv.org/abs/1302.1775 
[2] https://arxiv.org/pdf/1802.05483.pdf 
[3] https://hal.science/hal-01846694/document

Accélérateur laser-plasma

Focalisées dans un gaz, les impulsions courtes et ultra intenses (1018-1019W/cm2) disponibles aujourd’hui ionise instantanément le milieu, le transformant en plasma, permettant de générer des faisceaux d’électrons relativistes aux propriétés remarquables: courte durée (fs), faible divergence (mrad), haute énergie (plusieurs GeV). Les champs électriques générés lors de l’interaction atteignent des centaines de GeV/cm sur des distances d’accélération centimétriques. A titre de comparaison, les accélérateurs classiques peuvent atteindre ces énergies mais sur des distances kilométriques !

Depuis la première démonstration expérimentale de spectres électroniques quasi-monoénergétiques en 2004 (voir article Nature 431), le domaine des accélérateurs laser-plasma (LWFA) a réalisé d’énormes progrès, bénéficiant de l’évolution constante des technologies laser. Si la physique du couplage laser intense-gaz est ce mieux en mieux comprise, les enjeux actuels sont de développer des sources aux paramètres optimisés pour des applications ciblées, d’aller vers le développement de machines ou encore d’aller vers les énergies de plus en plus élevées.

Depuis une dizaine d’années, nous développons et testons des cibles sur notre plateforme UHI100 jusque sur l’IR APOLLON pour l’accélération laser-plasma et depuis peu pour des applications en radiothérapie.  

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Cible ELISA – cellule de gaz à longueur variable pour l’accélération laser-plasma

ELISA est une cellule de gaz développée en collaboration avec le LPGP pour pouvoir être utilisée sur des lasers de classe 100TW (UHI100, LLC) aussi bien que sur APOLLON (comissionning de la salle LFA). L’étude des propriétés du faisceau d’électrons sur divers systèmes lasers nous permet de :

  • de générer des faisceaux d’électrons et de les transporter via un système magnétique conçu par l’IRFU dans le cadre de l’EquipEx CILEX [A. Maitrallain, NIMA, 2018 ] . Ceci nous ouvre la voie vers les applications en radiothérapie

Spectre électronique obtenu sur l’écran LANEX placé dans la plan focal de la ligne de transport magnétique, 981mm après le plan de focalisation laser.

  • de participer au démarrage de la salle longue focale sur l’IR APOLLON à travers la génération de faisceaux d’électrons de qq 100aines de MeV. Cette première expérience, réalisée dans le cadre de l’EquipeX CILEX, et pilotée par B. Cros (LPGP)  a permis de mettre en évidence, l’influence des paramètres laser tels que l’asymétrie du profil d’énergie transverse du faisceau laser ou encore les fluctuations de pointé du laser dans le plan focal qui dégradent les propriétés de charge et énergie du faisceau d’électrons [I. Moulanier, PoP, 2023]

Exemples de spectres d’électrons obtenus en LFA avec une cellule de 6mm de long

  • de caractériser l’émittance d’une source des positrons générés sur la plateforme UHI100, via la conversion du faisceau d’électrons primaires, générés à partir de la cellule ELISA, dans une cible à haut Z [A. Alejo, PPCF, 2020].

Image brut du faisceau d’électrons secondaires à la traversée du masque et du dipole magnétique (technique pepper pot) analysée ensuite pour accéder à la  caractérisation indirecte de l’émittance du faisceau de positrons

L’expérience a servi de banc de test avant de la réaliser sur l’IR* Apollon avec l’équipe de G. Sarri (Queen’s University, Belfast), le LPGP, le LLR et le LULI. Ceci a permis de valider le fonctionnement d’un détecteur gamma, déclenché grâce à l’émission Bremsstralhung générée par l’interaction du faisceau d’électrons produits à 1,7GeV maximum, pour environ 207+/-62pC sur une cible de Tantale de 1mm d’épaisseur. [N. Cavanagh, PRR, 2023]

Miroir plasma

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Cible hybride

Nouveau concept d’injecteur à haute charge pour les accélérateurs pilotés par laser à base de miroir plasma

Les accélérateurs pilotés par laser (plus connus sous le nom d’accélérateurs laser-plasma) sont des candidats très prometteurs pour fournir des accélérateurs ultra-compacts et à haut débits de dose pour des applications en Médecine, Industrie et Physique des hautes énergies. Toutefois, ces accélérateurs souffrent de limitations importantes, dont notamment un manque de charge à haute énergie. Afin de lever cette limitation, nous avons

développé, à l’aide de simulations numériques massivement parallèle, un nouveau concept d’injecteur permettant d’augmenter de près d’un ordre de grandeur la charge délivrée par les accélérateurs laser-plasma, dans le but de rendre possible l’utilisation de ces accélérateurs dans les applications. Ce concept fait l’objet d’un brevet déposé conjointement avec le CNRS sous la ref. FR2203449 (2022)

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Ce nouveau schéma d’injection consiste à focaliser un laser de puissance sur une cible solide couplée à un jet de gaz pour accélérer davantage de charge, tout en préservant la qualité du faisceau. Au foyer laser, la cible solide est totalement ionisée et forme un plasma très dense et réfléchissant pour le champ incident : un « miroir plasma ».

Au cours de la réflexion du laser sur ce miroir plasma, beaucoup de charge peut être injectée depuis sa surface dans la ‘bulle accélératrice’ formée dans le sillage du champ réfléchi (cf. Figure ci dessous).

Fig.  – (a-b-c) – Snapshots issus de simulations 3D WarpX, avant, pendant et après la réflexion d’un laser intense sur une cible hybride solide-gaz. La densité électronique du gaz est en échelle orange-noir et l’amplitude du champ laser en échelle bleue-rouge– (d) – Spectre électronique obtenu à l’issue d’une propagation du laser réfléchi sur 1mm dans la partie gazeuse.

En 2022, nous avons validé ce concept [1] par des expériences au LOA (France) et par une campagne de simulations à grande échelle, réalisée avec le code Particle-In-Cell WarpX sur 3 des 5 supercalculateurs les plus puissants au monde, notamment Summit (OLCF, USA, #5), Fugaku (Riken, Japon, #2) et Frontier (OLCF, USA, #1). 

La résolution des défis techniques qui ont rendu ces simulations possibles, effectuée en collaboration avec nos partenaires à LBNL, Riken, LOA, GENCI, ATOS et ARM, nous a permis d’être lauréats du prix Gordon Bell pour le calcul haute performance en 2022.

[1] L.Fedeli et al, SC22 Proceedings, 3, 1-12 (2022)  https://dl.acm.org/doi/abs/10.5555/3571885.357188

Thèse Thomas Clark (22/11/2024) – Université Paris Saclay – Miroirs plasma dans les accélérateurs laser-plasma : vers des paquets d’électrons de haute charge et de haute énergie

Applications : Radiothérapie FLASH

La radiothérapie (RT) est l’un des outils les plus couramment utilisés pour traiter de nombreux types de cancer. Elle utilise des rayonnements ionisants pour détruire les cellules cancéreuses et réduire la taille de la tumeur. Plus de la moitié des patients atteints de cancer reçoivent une radiothérapie au cours de leur traitement (source OMS).

L’inconvénient majeur de la RT conventionnelle est l’irradiation intrinsèque à fortes doses des tissus sains environnant la tumeur à traiter, avec l’apparition d’effets secondaires indésirables à court et à long terme.

Cela se produit car la RT utilise un faisceau de rayonnement externe dont la dose diminue de façon exponentielle en traversant le corps du patient jusqu’à atteindre la tumeur ciblée.

Au cours des dernières années, la RT FLASH, ou la délivrance de débits de dose de rayonnement ultra-élevés (UHDR) de plusieurs ordres de grandeur supérieurs à ceux couramment utilisés (~ 100 Gy/s vs. 5 Gy/min), est apparue comme une modalité d’irradiation qui permet d’intervenir efficacement sur la tumeur tout en réduisant la toxicité pour les tissus sains environnants.

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Son utilisation permettrait ainsi d’augmenter la dose et donc l’efficacité anti tumorale, avec l’avantage supplémentaire de réduire le temps de traitement. À l’heure actuelle, la RT FLASH est reconnue comme l’une des percées les plus prometteuses en radio-oncologie, à la croisée des chemins entre la technologie, la physique, la chimie et la biologie.

L’accélération d’électrons par l’interaction d’impulsions laser intenses et ultra-courtes avec des plasmas (LPA) permet d’obtenir facilement des UHDR. Ces dispositifs compacts génèrent des paquets d’électrons de très courte durée (~fs) et à très haute énergie (VHEE, 50-250 MeV). De plus, à la différence des accélérateurs linéaires médicaux qui fonctionnent avec des énergies inferieures à 20 MeV, les VHEE présentent un meilleur rapport dose/profondeur que les rayons X et, en raison de leur profil de pénétration, peuvent être utilisés pour irradier la plupart des tumeurs profondes chez l’homme. Leur utilisation pourrait d’ailleurs améliorer l’efficacité de la thérapie FLASH.

Si la communauté scientifique est en train de s’attaquer aux problèmes inhérents à la technologie LPA (reproductibilité et précision de la dose délivrée, taux de répétition, fiabilité du système), la transposition clinique de la radiothérapie FLASH présente néanmoins des défis de taille notamment en matière de dosimétrie des faisceaux UHDR.

Dans ce régime (> 40 Gy/s), les détecteurs actuellement utilisés sont sujets à des effets de saturation, ce qui impose l’introduction de facteurs de correction. Grace aux moyens expérimentales dont nous disposons, nous avons décidé d’explorer de nouvelles méthodes de détection et de dosimétrie des radiations. Notre objectif principal est de développer un dosimètre chimique adapté aux faibles quantités de charge par impulsion et aux UHDR (typiquement 1012 Gy/s) pour les faisceaux d’électrons issus des LPA. En particulier, nous proposons une technique de dosimétrie chimique pour les VHEE fondée sur le lien entre l’intensité de l’émission de fluorescence d’une molécule opportunément choisie et la dose reçue.

« Dans le domaine de la radiothérapie, la communauté internationale est en ébullition avec les prémices de ce qui pourrait être une véritable révolution dans les années à venir »


Institut Gustave Roussy – Communiqué de Presse, novembre 2021