Une équipe du CEA Lidyl a réussi à mesurer pour la première fois la structure spatio-temporelle complète d’une impulsion laser de très haute puissance. Ce résultat est un progrès significatif en métrologie laser et démontre qu’il est aujourd’hui possible de caractériser précisément, en espace et en temps, les faisceaux lasers les plus puissants que l'on est aujourd'hui capable de produire.
Les faisceaux lasers sont sujets à des distorsions spatio-temporelles, d’autant plus fortes que leur puissance crête est élevée, qui peuvent affecter fortement l’intensité lumineuse qu’ils sont supposés délivrer. Mesurer ces distorsions sur les lasers ultra-intenses a été un challenge difficile à relever : il s’agit en effet de mesurer la structure temporelle du champ laser en chaque point du profil transverse pour des impulsions lumineuses de quelques dizaines de fs sur un diamètre de plusieurs centimètres. La technique proposée, nommée TERMITES, vient d’être validée sur UHI100, un des lasers les plus intenses du plateau de Saclay.
Les propriétés de cohérence uniques des faisceaux lasers permettent de concentrer de façon très efficace l’énergie lumineuse dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui, les chercheurs sont capables de générer des faisceaux laser de quelques dizaines de fs seulement, et de les concentrer spatialement sur des surfaces très petites, de l’ordre du micron carré. Ainsi, bien que l’énergie moyenne de ces impulsions laser soit modeste (de l’ordre du Joule), les champs laser générés sont absolument colossaux, supérieurs au TeraVolt/m, soit 10 000 fois plus élevés que les champs générés par les cavités radiofréquences utilisés dans les accélérateurs, et permettent de de générer des faisceaux d’électrons et de rayons X ultra-brefs.
Cependant, la « concentration » dans l’espace et dans le temps de l’énergie lumineuse des impulsions lasers exige que la structure spatio-temporelle du champ laser soit parfaitement contrôlée. C’est une problématique majeure de ce domaine de recherche, qui se retrouve aujourd’hui face à un double challenge : plus la puissance des lasers augmente, plus les distorsions spatio-temporelles apparaissent et deviennent difficiles à mesurer. Ainsi, l’apparition de ces distorsions, couplée à la difficulté de les mesurer, compromet le développement et la bonne utilisation des lasers toujours plus intenses qui sont en construction à l’heure actuelle.
La complexité de caractérisation de telles faisceaux laser réside dans leur durée d'impulsion très courte (et par conséquent leur spectre très large), et leur diamètre élevé (une dizaine de centimètres). Il s’agit ici de retrouver l’amplitude et la phase spectrale du champ laser en tout point du faisceau, avec une bonne résolution. La solution présentée ici repose sur la combinaison originale de deux techniques bien connues : la spectroscopie par transformée de Fourier, qui permet de mesurer le spectre du faisceau résolu en espace, et l’Interférométrie par « point de diffraction », qui permet de remonter à la phase spatiale d’un faisceau monochromatique.
Le principe de la technique TERMITES (« Total E-field Reconstruction using a Michelson Temporal Scan ») mise au point au Lidyl est résumé sur la première figure. Le dispositif est constitué d’un simple interféromètre de Michelson, où un faisceau de référence se propage le long d'un bras, et le faisceau inconnu se propage selon l'autre bras à 90°. Le faisceau de référence est obtenu en sélectionnant une petite partie au centre du faisceau laser que l'on élargit avec un miroir divergent, afin de recouvrir le faisceau complet. Après propagation selon chaque bras, les deux faisceaux se recouvrent et interfèrent. La figure d'interférence est ensuite enregistrée sur une caméra à haute résolution et de grande dynamique, pour plusieurs différences de marche entre les deux bras de l’interféromètre. On obtient ainsi la corrélation croisée entre le centre de l'impulsion laser, pris comme référence, et chaque point du faisceau. À l’aide d’un algorithme itératif, l’amplitude et la phase du champ laser initial sont obtenus en tout point.
La technique a été validé sur le laser UHI100 du Lidyl (puissance crête 100 TW, durée d’impulsions 25 fs, 10 Hz, 800 nm). La première reconstruction spatio-temporelle complète d’un champ laser ultra-intense est ainsi obtenue. Cette mesure révèle notamment des distorsions spatio-temporelles inattendues, comme des défauts de phase localisés à différents endroits du faisceau en fonction de la longueur d’onde, qui sont indétectables par les techniques de mesure traditionnelles. Ces distorsions ont pour conséquence de réduire d’un facteur 2 l’intensité laser par rapport à l'optimum que l'on souhaite obtenir.
En permettant pour la première fois une caractérisation complète de champs laser intenses en temps et en espace, cette technique ouvre donc de nouvelles perspectives en métrologie laser d'optimisation des faisceaux. Il sera souhaitable d'appliquer cette technique sur des lasers de Ultra haute intensité de la gamme Petawatt, comme le futur laser APPOLLON du plateau de Saclay, où des impulsions laser d’intensité encore bien plus élevée pourront être obtenues.
Référence :
Space-time characterization of ultra-intense femtosecond laser beams G. Pariente, V. Gallet, A. Borot, O. Gobert, and F. Quéré, Nature Photonics, 10 (2016) 547 Voir aussi « Nature Photonics – News and views » : « Ultrafast optics: A closer look at ultra-intense lasers », Tamas Nagy & Günter Steinmeyer,Nature Photonics 10 (2016) 502. |
Contact CEA-IRAMIS : Fabien Quéré (LIDYL/UHI)