| Centre
Paris-Saclay
| | | | | | | webmail : intra-extra| Accès VPN| Accès IST
Univ. Paris-Saclay
12 mai 2014
Antiferromagnétique, mais bien utile en couches minces !
logo_tutelle logo_tutelle 

L’électronique de spin, où l'orientation du spin de l'électron est prise en compte comme support de l'information, poursuit son développement depuis plus de trente ans. La technologie associée s'appuie essentiellement sur l’utilisation de matériaux ferromagnétiques en couches minces, mais les matériaux antiferromagnétiques (AF) peuvent aussi présenter un grand intérêt dans la réalisation de couches actives.

Grâce aux récents progrès en diffraction de neutrons obtenus au LLB, et dans le cadre d'une collaboration avec l’Institut Jean-Lamour de Nancy, une étude d'un empilement de couches AF à base de chrome (Cr/MgO/Cr) a pu être menée. Celle–ci montre en particulier la nature du couplage de l'ordre AF entre les couches de Cr. Ces résultats renforcent l'intérêt de l'utilisation de couches AF dans la réalisation de dispositifs en électronique de spin.

 

Jusqu’à aujourd’hui, le développement de l’électronique de spin s’est essentiellement appuyé sur l’utilisation de matériaux ferromagnétiques ; les matériaux antiferromagnétiques (AF) n’y ont joué qu’un rôle auxiliaire, en permettant de modifier la coercivité des couches ferromagnétiques via le phénomène de décalage d’échange (i.e. décalage en champ magnétique de leur cycle d’hystérésis). Toutefois, cette situation évolue, puisque le fait de disposer d’un matériau magnétiquement ordonné, mais sans aimantation résultante (matériau AF) peut se révéler très utile pour certains domaines de l’électronique de spin. En particulier, il a été récemment prédit qu'il pouvait exister un analogue au phénomène de transfert de spin[1] observé dans des hétérostructures à base de couches ferromagnétiques. Remplacer les couches ferromagnétiques par des couches AF permettrait d’abaisser le courant critique (pour le basculement de l'aimantation) de plusieurs ordres de grandeur, notamment parce que le courant polarisé en spin ne se dépolariserait pas, et pourrait donc être transmis sur une épaisseur d’échantillon bien plus grande. Un autre avantage des composés antiferromagnétiques est d’être beaucoup plus nombreux que leurs cousins ferromagnétiques, y compris parmi les matériaux semi-conducteurs.

 

[1] Transfert de spin : modification d'aimantation, sans champ magnétique appliqué, induite par un courant polarisé en spin.

 

 
Antiferromagnétique, mais bien utile  en couches minces !

Exemple de diagramme de diffraction de neutrons, obtenu sur un film de Cr à 60 K, autour de la position (1 0 0). Le pic central (normalement éteint pour une structure cfc) révèle un ordre magnétique AF commensurable, les autres doublets de pics correspondent à des modulations incommensurables de l'ordre magnétique .

Cependant, malgré leur diversité, les matériaux antiferromagnétiques en couches minces restent encore assez mal connus, en particulier parce que les techniques expérimentales permettant d’observer l’ordre antiferromagnétique restent rares : XMLD, spectroscopie Mösbauer, STM polarisé en spin ou diffraction de neutrons). La technique de mesure la plus directe, la diffraction de neutrons, est souvent considérée comme inadaptée à l’étude des couches minces antiferromagnétiques épitaxiées, du fait de la faible interaction des neutrons avec la matière. Mais de récents progrès dans l’instrumentation et le traitement des données ont permis d’augmenter considérablement la sensibilité des diffractomètre de neutrons[1] qui permettent aujourd’hui de réaliser des mesures sur des films d’une centaine de nanomètre d’épaisseur en un temps raisonnable.

Au cours de sa thèse[2], réalisée en cotutelle entre le LLB et l’institut Jean-Lamour à Nancy, Marie-Alix Leroy a exploré les possibilités offertes par le chrome, matériau antiferromagnétique modèle, pour l’électronique de spin. Ce matériau a été retenu, car il présente, malgré sa structure cristalline très simple, un ordre magnétique complexe (sous la forme d'ondes de densité de spin incommensurables, voir figure ci-dessus), dont la sensibilité à toute perturbation, permet d’espérer trouver une méthode simple et sensible pour le contrôler.

 

Un premier travail a consisté à déterminer les paramètres ayant le plus d’influence sur l’ordre magnétique dans des films de Cr épitaxiés. Si l’épaisseur du film ne semble pas déterminante dès qu’elle dépasse 50 nm, les contraintes résiduelles (liées au recuit de la couche de chrome) jouent un rôle crucial, et pilotent en pratique l’anisotropie magnétique des films (direction de polarisation des spins et du vecteur de propagation). Nous nous sommes ensuite intéressés à l’ordre magnétique au sein de tricouches Cr/MgO/Cr déposée sur MgO, pour lesquelles l’existence de deux régimes a pu être déterminée :

  • Lorsque la barrière tunnel MgO est épaisse (plus de 5 monocouches), la configuration magnétique du système est fonction de l’état de contrainte (tension ou compression, déterminé indépendamment par diffraction des rayons X), défini par les températures de recuit des couches de chrome successives.
  • Lorsque la couche de MgO est fine (moins de 5 monocouches), ce n’est plus le cas : des phases magnétiques supplémentaires apparaissent, toujours sous la forme d'onde de densité de spin, mais avec des vecteurs de propagation inattendus, tant en terme de direction que de module.

Ce second régime (pour < 5 monocouches) peut être attribué à un couplage par effet tunnel à travers la couche ultrafine de MgO, analogue à ce qui est observé dans le système Fe/MgO/Fe, assez voisin en termes de structure de bande électronique. Cette interprétation est par ailleurs renforcée par des mesures de structure électronique par photoémission résolue en angle, qui mettent en évidence un état d’interface résonnant de symétrie Δ5, qui pourrait être transmis sans atténuation par la barrière MgO.

 
Antiferromagnétique, mais bien utile  en couches minces !

Surface de Fermi de l’état d’interface résonnant de symétrie Δ5.

Cette première mise en évidence d’un couplage entre couches antiferromagnétiques à travers une barrière isolante montre que le couplage entre couches magnétiques (ferro ou AF) par effet tunnel est un phénomène plus général que supposé initialement. Ce type de couplage étant un des principes de base des dispositifs en électronique de spin, la voie semble ouverte pour la conception de composants utilisant des matériaux antiferromagnétiques comme couches actives.  


Références :

[1] A.M. Bataille, V. Auvray, C. Gatel et A. Gukasov, J. Appl. Cryst. 46 726 (2013)

 

[2] "Films minces épitaxiés de chrome pour l'électronique de spin : propriétés de volume et d'interface", M.-A. Leroy, Université de Lorraine, 2013.

[3] Electronic structure of the Cr(001) surface and Cr/MgO interface
M.-A. Leroy, A.M. Bataille, F. Bertran, P. Le Fèvre, A. Taleb-Ibrahimi et S. Andrieu, Phys. Rev. B 88 205134 (2013).

Contact CEA-IRAMIS/LLB : Alexandre Bataille.

 
#2343 - Màj : 15/05/2014

 

Retour en haut