...Cristallographie, imagerie et maximum d’entropie
SEPTEMBRE 1999 N° 21
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Une équipe du Service des Photons, Atomes et Molécules (SPAM) explore différentes techniques pour produire les impulsions lumineuses les plus courtes jamais réalisées, à l'aide de la création d'harmoniques d'ordre élevé d'impulsions lasers ultra intenses focalisées dans des jets de gaz rare.
Depuis l'invention du laser en 1960, les progrès spectaculaires de la technologie ont permis de produire des impulsions de plus en plus courtes, passant de la milliseconde (1 ms = 10-3 s) à quelques dizaines de femtosecondes (1 fs = 10-15 s). Ces impulsions ultracourtes ont rendu possible l'observation de phénomènes ultra rapides jusqu'alors inaccessibles, en physique, chimie et biologie, tels que les réactions chimiques ou les collisions atomiques et moléculaires. Le "record" actuel s'établit à des impulsions de 4 fs pour une longueur d'onde l = 780 nm. On atteint là une limite fondamentale, car la période d'oscillation de ce rayonnement est T = l /c = 2,6 fs, ce qui signifie que les champs électrique et magnétique n'effectuent qu'une oscillation et demie dans l'enveloppe de l'impulsion. Pour produire des impulsions encore plus brèves, il est nécessaire d'utiliser de plus courtes longueurs d'onde, dans l'ultraviolet lointain (UVX : l entre 10 et 100 nm). Dans cette gamme spectrale, les sources de rayonnement cohérent sont peu nombreuses et seule, la production d'harmoniques d'ordre élevé (voir encadré) laisse espérer le franchissement de cette limite, pour atteindre le domaine de l'attoseconde (1 as = 10-18 s). Dans ce but, diverses techniques ont été récemment proposées pour réduire la durée de l'émission harmonique, mais les études sont encore préliminaires et théoriques.
Figure 3 : Production d’impulsions attoseconde par mise en phase de plusieurs harmoniques. |
Une première technique, réalisable à courte échéance, devrait permettre de produire des impulsions de l'ordre de 1 fs, par compression d'une harmonique unique. Elle utilise les propriétés de phase d'une harmonique donnée produite typiquement par une impulsion laser de 30 fs. Un premier phénomène concourt à réduire la durée de l'émission harmonique par rapport à celle de l'impulsion laser initiale : il résulte de la non linéarité du processus que l'intensité de production d'harmonique n'est importante que pour des éclairements laser suffisamment élevés, c'est-à-dire près du maximum de l'impulsion (en supposant que l'intensité de l'harmonique varie comme la puissance p de l'éclairement laser, la durée de l'émission harmonique tH est alors reliée à la durée laser tH par tH = tL/Öp). L'émission harmonique est alors longue d'environ 10 fs. Elle présente de plus une propriété particulièrement intéressante : la fréquence instantanée varie en fonction du temps dans l'impulsion ; elle est plus élevée sur le front montant de l'impulsion que sur le front descendant. A l'aide d'un système dispersif "compresseur" tel qu'une paire de réseaux, on peut compenser les écarts de phase et regrouper toutes les fréquences (Fig. 2). Ainsi, l'impulsion harmonique subit-elle une compression qui l'amène à une durée de l'ordre de la femtoseconde.
Pour aller au-delà, une autre technique envisagée consisterait à produire un train d'impulsions de durée quelques centaines d'attosecondes, par mise en phase de plusieurs harmoniques du spectre. Lorsqu'on somme plusieurs composantes également espacées en fréquence et de même amplitude (telles que celles disponibles dans la région du plateau du spectre harmonique, voir encadré), le profil temporel résultant dépend de manière critique des phases relatives de ces composantes, comme dans un phénomène de battements. Si les composantes sont en phase (Fig. 3a), elles s'ajoutent à intervalle temporel régulier, produisant des pics de champ électrique, et se compensent le reste du temps. Il en résulte des impulsions dont la durée est inversement proportionnelle au nombre de fréquences sommées : pour 11 harmoniques, la durée d'un pic est de 120 as (Fig. 3c). En revanche si les différentes composantes ont des phases aléatoires, elles s'ajoutent et se retranchent sans régularité, produisant une forêt de pics plus ou moins larges (Fig. 3b). L'étude théorique montre que l'émission d'un atome unique conduit à des harmoniques qui ne sont pas strictement en phase. Cependant, la propagation macroscopique, dans certaines conditions de focalisation, peut aboutir à des harmoniques en phase : les simulations prévoient l'émission d'un train d'impulsions d'environ 300 as chacune. Pour extraire une impulsion unique de ce train, différentes techniques sont possibles ; la plus simple consiste à produire les harmoniques avec une impulsion laser elle-même ultracourte (4 fs), ou à moduler temporellement le degré d'ellipticité de la polarisation du laser.
Ces études théoriques ouvrent la voie vers la production d'impulsions attoseconde, même si plusieurs difficultés techniques restent à surmonter pour leur réalisation expérimentale. En particulier, des méthodes de mesure et de caractérisation de telles impulsions sont encore à inventer. L'enjeu de ces recherches est l’observation des mouvements électroniques et nucléaires ultrarapides, tels ceux des paquets d'onde dans les états de valence des molécules ou dans les niveaux de cœur atomiques.
Pour en savoir plus :
"Attosecond pulse trains using high-order harmonics",
Ph. Antoine, A . L'Huillier et M. Lewenstein,
Phys. Rev. Lett. 77, 1234 (1996).
"Temporal and spectral tayloring of high-order harmonics", P. Salières,
Ph. Antoine, A. de Bohan et M. Lewenstein, Phys. Rev. Lett., sous presse.
Contacts :
P. Salières, B. Carré.
Phases Magazine N° 22
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