... Synthèse et dopage du C60

AVRIL 1994 N°13

Le football moléculaire et la suie supraconductrice

Les propriétés les plus intéressantes du C60 semblent être liées à sa structure électronique. La communauté des physiciens s'est fortement émue à la découverte de la supraconductivité à "haute température" de certains composés alcalins. Le mécanisme d'apparition de l'instabilité supraconductrice n'est pas encore connu ; une équipe du SPhT envisage différentes hypothèses concernant l'appariement des électrons et en premier lieu sur la molécule isolée.

Les composés alcalins du C60


Figure 1 : Positionnement des alcalins sur le réseau des molécules C60 (d'après Hebard, ref. citée plus haut). Dans l'ordre a) réseau non dopé (cfc) b) réseau dopé avec 3 alcalins par molécule C60 et c) réseau dopé avec 6 alcalins (réseau bcc).

Dans un cristal, les molécules de C60 s'organisent en un réseau cubique à faces centrées "faiblement" semi-conducteur. Mais les propriétés électroniques changent du tout au tout lorsque les lacunes du réseau sont occupées par des atomes alcalins (Fig. 1). En effet, on s'est aperçu que les composés K3C60 et Rb3C60 sont des conducteurs de type métallique à température ordinaire et deviennent des supraconducteurs à basse température (respectivement à 19 K et 29 K). De telles températures de transition les classent d'emblée dans la catégorie "supraconducteurs à haute température" (dits supra haut Tc) puisque les alliages intermétalliques plafonnent à 23 K et que seule la famille des cuprates (à base d'oxyde de cuivre) fait beaucoup mieux, jusqu'à 133 K.

L'intérêt de ces "fullerides" est d'autant plus grand qu'il est maintenant possible de fabriquer des quantités macroscopiques de C60. Mais la surprise est de taille: en effet les intercalates du graphite par les mêmes alcalins ne conduisent qu'à des températures critiques inférieures au demi Kelvin. Il est donc naturel de se demander si les Tc des fullerides s'expliquent dans le même cadre que les Tc des métaux, c'est-à-dire par la théorie dite BCS où les phonons sont responsables de l'appariement en paires de Cooper ou bien si un mécanisme différent est à l'œuvre comme c'est peut être le cas dans les cuprates.

Le modèle théorique

La première étape consiste à comprendre les interactions dans la molécule isolée et neutre (non dopée) et l'interprétation suivante semble donner une description correcte de la situation. Le carbone a 4 électrons sur sa couche externe; trois d'entre eux s'associent aux électrons des 3 atomes voisins (orbitales s avec fort recouvrement le long des axes reliant les sites) et il reste en moyenne un électron par site dont l'orbitale est perpendiculaire à la surface de la molécule (orbitale p). En première approximation, ces électrons sont considérés sans interaction mutuelle. L'état fondamental est obtenu en remplissant les 60 orbitales de plus basse énergie du modèle sans interaction; il est non dégénéré.

Or, dans les composés alcalins, la molécule C60 porte en moyenne trois électrons p supplémentaires et la même approche conduit dans ce cas à un état fondamental fortement dégénéré. Le premier effet attendu lors de l'introduction dans le modèle d'une quelconque interaction est donc de lever cette dégénérescence. Les deux types d'interactions à prendre en compte a priori sont l'interaction de Hubbard que nous avons supposée suffisamment écrantée de façon à ne s'exercer qu'entre électrons présents sur le même site et l'interaction électron phonon qui semble expérimentalement coupler fortement les électrons supplémentaires à certaines vibrations de la molécule. L'interaction électron phonon induit une attraction entre les électrons.


Figure 2 : Spectre des états à n électrons d'une molécule Cn60 en fonction du nombre n d'électrons supplémentaires, calculé avec l'interaction électron-phonon (Fig. 2a) et l'interaction de Hubbard (Fig. 2b). L'énergie de référence 0 est celle du C60 pur. Les deux spectres sont visiblement très différents et de récentes expériences semblent trancher en faveur de la première interaction

Le rôle de cette interaction peut être testée en modifiant la masse du C60 par remplacement des atomes de carbone 12 par des atomes de carbone 13 (plus lourds d'un neutron). Cette modification doit induire une diminution de la température critique. Cependant, l'interprétation des expériences reste délicate car les résultats dépendent également du mode de préparation.

C'est pourquoi d'autres tests ont été proposés. Pour chacune des interactions, le spectre des états a été calculé par un calcul quantique de perturbation pour un nombre arbitraire d'électrons supplémentaires allant de 1 à 6 (Figs. 2 a et  2b). Clairement, les 2 spectres sont nettement différenciés. Ces résultats théoriques trouvent une comparaison expérimentale dans les expériences d'absorption infra rouge effectuées sur des anions C n-60 en phase liquide qui fournissent la spectroscopie des niveaux. Un bon accord est observé avec les prédictions théoriques basées sur l'interaction phonon-électron contrairement à celles basées sur l'interaction coulombienne qui donne des déplacements de pics inverses de ceux observés expérimentalement. Notons cependant que cette approche n'est valable que si cette dernière est de faible amplitude et très écrantée.

Il semble donc que l'interaction prépondérante soit cette interaction effective due aux phonons. Cependant, ceci n'est qu'une première étape avant de passer à l'étude du comportement sur le réseau complet.


Pour en savoir plus :

a) sur la structure
R.F. Curl and R.E. Smalley "Fullerenes" Scientific American Octobre 1991 pp 32-41 (ou Pour la Science Décembre 1991 pp 46-55).
Patrick Bernier " Le carbone dans tous ses états" La Recherche Vol.22 N° 233 Juin 1991 pp 794-795
Donald R. Huffman "Solid C60 " Physics Today (Nov. 1991) 44 N° 11 pp 22-31
b) Sur la structure électronique
R.C. Haddon et coll. Chem. Phys. Lett. (1986 ) 125 pp 459 - 464
A.F. Hebard "superconductivity in doped fullerenes"
Physics Today (Nov. 1992) 45 n°11 pp 26

Contacts :

T. JOLICOEUR, Lorenzo BERGOMI.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 13
Modèles de poussières interstellaires en laboratoire ...