... HISTOIRE D'OS à la recherche des temps passés

OCTOBRE 1991 N°7

Chimie organométallique de l'uranium

Au sein du Service de Chimie Moléculaire, le Laboratoire de Chimie de l' Uranium concentre ses efforts de recherche sur la synthèse de composés organométalliques des actinides possédant une très grande réactivité. Récemment, ses chercheurs ont montré que les propriétés de ces complexes dépendent non seulement des effets d'encombrement stérique mais aussi de la structure électronique des ligands.


Figure 1 : Représentation de la structure des complexes formés à partir des espèces isostères CpUCl3, (tritox)U(BH4)3 et CpU(BH4)3. L'utilisation de ligands de même taille (Cp et tritox, BH4 et Cl) mais meilleurs donneurs d'électrons (Cp > tritox, BH> Cl) permet d'obtenir des composés stériquement insaturés (avec moins de molécules de THF coordinées).

La chimie organométallique des actinides (notamment l'uranium, U, et le thorium, Th) connaît, depuis une quinzaine d'années, un essor spectaculaire, avec la synthèse de nouveaux composés moléculaires intéressants tant par leur structure que par leurs propriétés physiques et chimiques. En particulier, certains complexes comportant des ligands organiques se sont révélés d'excellents catalyseurs de réactions telles que l'hydrogénation et la polymérisation des oléfines.

Dans ces composés, le métal se trouve au degré d'oxydation +3 et son environnement est suffisamment dégagé pour permettre l'accès de molécules de réactifs. Or, de tels complexes sont encore très rares ; leur rareté reflète davantage les conditions historiques (disponibilité de précurseurs et de ligands, techniques de manipulation) qu'une réelle nécessité chimique. Dans la très grande majorité des complexes de l'uranium actuellement connus, celui-ci est au degré d'oxydation +4 et l'espace disponible autour du centre métallique est occupé par les ligands, ce qui confère une certaine inertie à ces complexes.

Glossaire

Actinides : éléments de la classification périodique de Mendeleïev ayant un numéro atomique compris entre 90 et 103.
Activation d'une molécule : modification de l'état électronique de cette molécule (par exemple par coordination à un complexe) qui diminue la solidité de la liaison chimique entre ses atomes, la rendant ainsi plus réactive.
Borhydrure : ligand chargé négativement de formule BH4-.
Complexe : composé chimique constitué d'un métal et de ses coordinats.
Coordinat ou ligand : ensemble d'atomes liés par des liaisons chimiques, électriquement neutre ou chargé, qui est lié à un atome métallique par une liaison chimique dite de coordination.
Cyclopentadiényle : ligand chargé négativement de formule C5H5-.
Hexaméthyl benzène : ligand électriquement neutre de formule C6(CH3)6.
Oléfine ou alcène : hydrocarbure tel que l'éthylène comportant une double liaison entre deux atomes de carbone.
Organométallique : se rapportant à un complexe comportant au moins un ligand coordonné au métal par un atome (ou des atomes) de carbone.
Solvant coordinant : solvant ayant une propension à se fixer chimiquement sur les molécules mises en solution.
Tritertiobutyl methoxide : ligand chargé négativement de formule [(CH3)3C]3CO-.

A la recherche de l'insaturation stérique. Influence des facteurs électroniques

Les premiers complexes des actinides qui furent isolés et caractérisés avaient une structure et une stabilité qui paraissaient déterminées essentiellement par la taille des coordinats ; il semblait nécessaire que l'espace autour du métal fût entièrement saturé. La comparaison des propriétés des composés ayant des ligands de tailles identiques mais distincts du point de vue électronique a conduit à réviser ces considérations.


Figure 2 : Structure moléculaire obtenue par radiocristallographie d'un complexe organométallique de l'uranium au degré d'oxydation +3 synthétisé au SCM : I'hexaméthyl-benzène-tris-borhydrure-uranium (III) de formule C6(CH3)6U(BH4)3. Les atomes sont représentés par leurs ellipsoïdes d'agitation thermique. La diffraction des rayons X ne permet pas de localiser les atomes d'hydrogène dans les composés d' uranium.

Les trois complexes CpU(BH4)3, (tritox)U(BH4)3 et CpUCl3 ont des volumes équivalents : les ligands cyclopentadiényle (Cp) et tritertiobutyl méthoxyde (tritox) d'une part et les groupes Cl et BH4 d'autre part, ont le même encombrement stérique. Cependant, ces complexes ont une richesse électronique différente car les ligands Cp et BH4 sont respectivement meilleurs donneurs d'électrons que leurs analogues stériques tritox et Cl. Le complexe le plus pauvre en électrons, CpUCI3, n'a été isolé que sous la forme de produits tels que CpUCI3(THF)2 (THF = tétrahydrofuranne), qui sont stériquement saturés (Fig. 1A). Le complexe le plus riche en électrons, CpU(BH4)3 (Fig. 1C), est très stable dans les solvants non coordinants mais se décompose en présence de THF, ne supportant pas l'excès de charge apporté par ces molécules. Le complexe (tritox)U(BH4)3 présente une situation intermédiaire et le composé isolé, (tritox)U(BH4)3(THF) (Fig. 1B), qui n'a aucune tendance à se dissocier ou à coordonner une molécule de tétrahydrofuranne, semble avoir une richesse électronique idéale.

Ces résultats montrent, contrairement à ce qui était généralement admis, que les facteurs stériques ne doivent pas être seuls pris en compte pour expliquer et prévoir la structure et la stabilité des complexes organométalliques des actinides. La densité électronique de ces composés ne doit pas dépasser une valeur limite. Une conséquence de cette situation est que la synthèse de complexes stériquement insaturés sera facilitée par l'emploi de ligands donneurs d'électrons.

Développement de la chimie organométallique de l'uranium trivalent

Le développement de la chimie de l'uranium trivalent nécessitait de disposer d'un précurseur facilement accessible et parfaitement caractérisé. Un tel complexe, dont la structure moléculaire est présentée sur la figure 2, fut récemment synthétisé par coordination d'une molécule d'hexaméthyl-benzène au tritorohydrure d'uranium U(BH4)3, lui même formé par réduction thermique du tétraborohydrure U(BH4)4. La substitution des groupes BH4 par différents ligands a permis de préparer plusieurs familles de composés de l'uranium au degré d'oxydation +3. Certains de ces complexes, stériquement insaturés, se sont montrés capables d'activer des petites molécules (H2, CO, CO2, N2) et d'intervenir dans des cycles catalytiques.


Pour en savoir plus :

G. FOLCHER et P. RIGNY, Spectroscopie et chimie de l'uranium (IV), Rapport DPC-DIR 79-53, Décembre 1979.
D. BAUDRY, E. BULOT, P. CHARPIN, M. EPHRITIKHINE, M. LANCE, M. NIERLICH and J. VIGNER, J. Organometal. Chem. 371(1989)155.

Contacts :

M. EPHRlTlKHlN, M. NIERLICH, E. SOULIÉ.

Le Comité de rédaction


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