...Phases Magazine N° 6
Interférences quantiques d'électrons et "empreintes digitales magnétiques"

OCTOBRE 1991 N°7

HISTOIRE D'OS
à la recherche des temps passés


Figure 1 : Squelette de la nécropole de Cambrai Mont des Bœufs (IXème siècle).

Une équipe mixte CEA-CNRS du Laboratoire Pierre Süe (LPS) étudie en collaboration avec le Centre de Recherches Archéologiques (CRA) de Valbonne (Alpes Maritimes) des vestiges osseux humains médiévaux pour tenter de mettre en évidence des corrélations entre l'état pathologique de l'individu et la présence d'éléments à l'état de traces. Ces recherches s'appuient sur deux techniques complémentaires : l'analyse par activation neutronique et la microsonde nucléaire.

A partir des vestiges osseux et des pièces de mobilier découverts dans des nécropoles, l'anthropologue cherche à cerner les conditions de vie des populations anciennes (épidémies, alimentation, climat, migrations, etc) grâce à des observations classiques (visuelles, microscopiques, anthropométriques), voire radiologiques. Certains oligo-éléments comme le cuivre, le zinc et le strontium jouent un rôle important dans la croissance de l'os et révèlent l'évolution de certaines pathologies et lésions. Un intérêt croissant s'est manifesté ces dix dernières années pour l'application des techniques physiques à la mesure de ces éléments.

Le LPS et le CRA ont donc lancé dès 1988 une recherche concertée entre physico-chimistes, anthropologues et paléopathologistes sur des nécropoles françaises du Moyen Age.

Quand les neutrons et les protons s'en mêlent ...

La démarche est basée sur la combinaison de l'analyse par activation neutronique (méthode d'analyse globale et très sensible) et de la microsonde nucléaire (technique de mesure locale).

L'analyse par activation neutronique (AAN) consiste tout d'abord à irradier, dans la même configuration géométrique, l'échantillon et un témoin d'or dans le réacteur Osiris, sous un flux de 2.1014 neutrons par cm2 et par seconde, pendant quelques minutes. On pratique ensuite une spectroscopie à haute résolution du rayonnement gamma induit ; la composition du matériau est déduite des énergies et des intensités des raies détectées (Fig. 2a). Près d'une vingtaine d'éléments peuvent être dosés simultanément à l'issue de mesures allant de quelques minutes à quelques heures.


Figure 2 a : Principe de l'analyse par activation neutronique.


Figure 2 b : Caractéristiques générales de la microsonde nucléaire.

La microsonde nucléaire requiert le bombardement de l'échantillon (prélevé sous la forme d'un disque poli d'environ 1 cm2) par un microfaisceau (diamètre de la tache de l'ordre de 30 µm) de protons ou de deutérons d'énergie comprise entre 1 et 3,5 MeV. Les durées d'acquisition sont généralement de l'ordre de la dizaine de minutes. L'émission X induite (PIXE) permet de suivre des éléments comme le calcium, le manganèse, le fer, le cuivre, le zinc, le strontium et le brome. Par émission gamma induite (PIGE), on dose le fluor, le sodium, le magnésium, l'aluminium, le silicium et le phosphore. Enfin, I'observation de réactions nucléaires avec émission de protons (NRA) autorise la détermination des éléments légers (carbone, azote et oxygène) non détectables par AAN (Fig. 2b).

Souvenirs enfouis ...

Six échantillons ont été sélectionnés : trois os pathologiques et trois os témoins. Ils se présentent sous la forme de coupes de diaphyse de fémur, os généralement le mieux conservé et souvent choisi comme référence en anthropologie. L'un des témoins correspond à un individu décédé récemment d'une crise cardiaque, les cinq autres os sont issus de deux sites médiévaux du nord de la France : une nécropole rurale, Les Rues des Vignes du VIIème siècle et une nécropole citadine, Cambrai-Mont des Bœufs du IXème siècle.


Figure 3 : Évolution de la composition de la trame organique d'os fossiles en fonction de la durée d'enfouissement : a) carbone ; b) azote (les croix (x) désignent les os témoins non pathologiques).

Un premier résultat intéressant concerne l'évolution de la composition de la trame organique du tissu osseux en fonction de sa durée d'enfouissement, symbolisée par l'azote et le carbone (Fig. 3). Leurs teneurs mesurées dans les os témoins par NRA décroissent linéairement avec le temps, et le rapport carbone/azote est conservé. D'autre part, les os pathologiques conduisent à des teneurs très éloignées des témoins. La trochantérite tuberculeuse (os S1) et l'hyperostose porotique (os C6) favorisent la dégradation de la fraction organique de l'os alors que la maladie de Pierre Marie (os H5A) semble la ralentir. Les autres mesures (AAN, PIXE, PIGE) montrent que le fluor le sodium, le magnésium, le chlore, le zinc et le brome présentent de forts écarts de concentration (du quart au triple) par rapport aux valeurs des témoins.

On peut retrouver dans un os fossile la manifestation d'une pathologie au travers des distributions de quelques uns de ses constituants. Pour asseoir les principales conclusions de cette étude préliminaire, il est bien évidemment nécessaire de multiplier le nombre d'expertises analytiques et d'élargir la gamme des échantillons examinés.

Plusieurs axes de recherche prometteurs semblent dès maintenant se dégager. Hormis la paléopathologie, il devrait être possible de recueillir des informations sur le régime alimentaire des populations anciennes (paléodiète), sur les phénomènes d'échange avec le milieu environnant (diagénèse), voire sur les mouvements de population (paléodémographie). Cette méthode permettra en outre de proposer une chronologie plus adaptée aux échantillons médiévaux que les techniques de datation usuelles.


Pour en savoir plus :

S. MAY, "Analyse par activation neutronique", Les Techniques de l'Ingénieur 10 (1975) P2565.
C. ENGELMANN et R. DEI-CAS, "La microsonde nucléaire : un microscope particulier" Clefs CEA n° 4, Janvier 1987.
N. BOSCHER-BARRE, N. DESCHAMPS, P. TROCELLIER et J. BLONDIAUX, Comptes-rensus du Colloque "Méthodes d'étude des sépultures", 8-10 Mai 1991, Saintes (Charente-Maritime).

Contacts :

Nicole BOSCHER-BARRE, Norbert DESCHAMPS, Patrick TROCELLIER, Luc BUCHET et Joël BLONDIAUX.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 7
Chimie organométallique de l'uranium ...