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JUIN 1989 N° 2

L'atome circulaire de Bohr,
ou quand les vieux modèles
sont de nouveau d'actualité ...

A un moment ou à un autre, nous avons tous considéré que le modèle de Bohr de l'atome n'était qu'une vieille gloire éteinte de l'histoire de la physique, mais ne pouvait en aucun cas servir à la physique contemporaine. Ce point de vue mérite maintenant une révision.

En effet, les physiciens atomistes viennent de montrer que, parmi les nombreux états qu'ils savent préparer et étudier, quelques uns rappellent étrangement le modèle des orbites circulaires quantifiées que Bohr avait proposé dès 1913 : ce sont les états circulaires.


Figure 1 : a) Orbitale (à l’échelle) de l’état circulaire n = 21. La précession du moment cinétique a lieu sur un cône de 12°. En trait fort, l’orbite de Bohr.
b) L’atome historique de Bohr pour n = 21.

Plus précisément, un état circulaire est un état atomique qui possède la propriété d'avoir un moment cinétique à la fois maximal [l = (n-1) >>1] et parfaitement orienté ( I m I = l). Les états circulaires les plus intéressants sont aussi des états de Rydberg (le n du niveau atomique est très grand). L'orbitale a la forme d'un tore localisé très à l'extérieur du cœur, au voisinage de la trajectoire classique de Bohr (Fig. 1). Celle-ci est d'autant plus filiforme que n est élevé. Cette situation est très différente de celle des atomes de Rydberg de faible moment angulaire où l'orbitale pénètre partiellement le cœur. Les états circulaires sont peu influencés par la nature du cœur et sont donc bien décrits par un modèle hydrogénoïde. Ce sont des objets situés aux confins du domaine quantique où la localisation quasiment bidimensionnelle de l'électron annonce un comportement plutôt classique.

Évidemment, l'existence des états circulaires n'a pas seulement un caractère anecdotique. Comme on va le voir, ces nouveaux atomes présentent pour le physicien des propriétés fort intéressantes. Ces objets ont été de plus mis en évidence de façon naturelle dans les atmosphères stellaires grâce à leur émission micro-onde.


Figure 2 : Préparation des états circulaires. Le nouveau procédé de préparation des états circulaires, qui est utilisé ici, a été mis au point à l'E.N.S ; il met à profit le comportement privilégié des états circulaires dans un champ électrique ou magnétique. Au lieu de faire appel à une cascade de transitions micro-ondes depuis l'un des niveaux bas, optiquement accessible d'un multiplet Stark (1), il utilise une transition adiabatique au cours de laquelle le niveau le plus haut du multiplet Stark se transforme en homologue le plus haut du multiplet Zeeman (2).

Le temps de vie radiatif de ces états est très long, il croît comme n5 et atteint 1 ms pour n = 25. Les atomes circulaires sont cependant sensibles au rayonnement thermique et doivent être formés à basse température. Cette grande durée de vie autorise ainsi une spectroscopie micro-onde à très haute résolution et la mesure extrêmement précise de la constante de Rydberg, d'un grand intérêt pour l'électrodynamique quantique. L'orbitale étant située au voisinage d'un plan, on peut s'attendre à ce qu'un état circulaire ait un comportement extrêmement anisotrope dans ses interactions avec le rayonnement électromagnétique, avec les champs externes ou lors de collisions avec d'autres édifices atomiques. De plus, en raison de la symétrie élevée de l'orbitale (assimilable à l'échelle atomique à une superbe boucle de courant !) son moment magnétique est maximal. Il en résulte que le déplacement Zeeman est maximal alors que l'effet Stark est faible. Ces propriétés sont à l'origine des méthodes de préparation de ces atomes (Fig. 2).

Enfin, si l'on considère maintenant un atome à deux électrons très excités, dont un est circulaire (par exemple un atome de baryum di-excité), c'est un nouveau domaine de la physique qui apparaît. Il devient possible d'étudier en détail les corrélations entre électrons dans un système relativement stable où pourtant l'hamiltonien n'est pas séparable, même en première approximation. il n'existe pour le moment aucune vérification expérimentale des divers modèles proposés pour décrire un état di-excité à forte corrélation. Nous entrons là dans le domaine d'étude des phénomènes chaotiques.

Tout ceci a motivé la mise en place dans notre Service d'un programme d'étude des états circulaires (mono- ou di-excités) dans les systèmes alcalino-terreux. Une très fructueuse collaboration avec un groupe de l'École Normale Supérieure a été engagée et des atomes circulaires (n = 21) de baryum viennent d'être observés.

Ainsi, le bon vieux modèle de Bohr retrouve une nouvelle jeunesse au service d'une physique qui réserve encore quelques surprises.


Contacts :

G. SPIESS, SPAS et M. GROSS E.N.S.

Le Comité de rédaction


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