Bérengère Dubrulle – Le songe d’Isis

Préambule

A l’heure où des robots scintillants explorent les confins de notre système solaire, où des télescopes remontent jusques aux premières années de l’Univers, où nous fragmentons la matière en ses composants ultimes dans des accélérateurs monstrueux, où nous recréons la vie à partir de la mort, il reste un champs encore largement inexploré et incompris: celui de la conscience humaine. Parmi tous les arts, la poésie est celui qui est le plus apte à sonder les profondeurs de ce gouffre insondable, le plus apte à mimer les méandres des pensées qui naissent et meurent dans le cerveau humain. Relativement figée dans des carcans de règles et de lois au début, elle a évolué sous l’action de quelques visionnaires qui l’ont rendue de plus en plus proche des mécanismes du fonctionnement du cerveau humain : les poèmes en prose de Baudelaire lui ont apporté une souplesse simplificatrice, les vers muselés de Verlaine une musique nouvelle, les calligraphies d’Apollinaire, une dimension graphique, les métaphores d’Eluard ou de Char l’ont rapprochée des sources des associations d’idées…Mais de toutes les révolutions, aucune ne sera jamais plus grande que celle apportée par le voyant Rimbaud. Relisant un soir de désœuvrement  » Une saison en enfer  » , je fus frappée par le fait que ce recueil avait été écrit pour être lu en trois dimensions. A l’époque, les moyens techniques ne permettait pas de réaliser matériellement ce projet, dont seule une projection bi-dimensionnelle nous est parvenue, diminuant largement la force de ce poème pourtant révolutionnaire. A l’aube de la révolution technologique liée à Internet et aux myriades d’informations à faire circuler et à organiser, cette limitation technologique a disparu : en utilisant le langage HTML, nous sommes maintenant capable d’accéder à cette troisième dimension, à superposer dans la même phrase, dans le même mots des concepts, des idées, des images, des sons, comme le fait notre cerveau lui-même dans son processus de pensée et d’associations. D’autre part, la révolution informatique permet maintenant de matérialiser les écrits sur des écrans portables (le Ebook), permettant de stoker et d’organiser les concepts comme sur la Toile elle-même. Le temps semble donc maintenant venu de propulser la poésie dans la troisième dimension, de lui faire franchir une nouvelle étape.

Pour illustrer ce nouveau concept, j’ai bâti ce livre expérimental, en utilisant des écrits réalisés durant ma période adolescente. Cette époque de foisonnement, d’intense créativité, de refus et d’idéaux chez tout individu m’a semblée la plus propice à la création de ce maelstrom d’idées, de concepts, de dits et de non-dits, de frustrations et d’aspirations, d’allégories tridimensionnelles qui semble caractériser le fonctionnement de la conscience humaine…ouvrant —qui sait ?-, la voie, à l’avènement de machines véritablement douées d’émotions.

Je dédie ce livre à Arthur Rimbaud, le plus grand voyant et prestidigitateur de l’âme de tous les temps. Fut-il né un siècle plus tard, il aurait pu réaliser lui-même l’expérience, l’amenant à un degré de plénitude, de perfection, de beauté, d’émotion que je suis incapable d’approcher. Puissent d’autres Rimbaud modernes se saisir de mon expérience, et réaliser ce rêve !

Dédicace

Au futur incertain qui miroite dans les flaques

Au vent, sur les landes, dans les fougères rousses

Au reflet de ton ombre sur les pas que j’embrasse

Au passé qui clignote dans l’abysse du ciel

Aux joies, peines ou cauchemar que l’on ne revit pas

Aux espoirs qui s’envolent vers les cimes enneigées

Aux désirs, assouvis, endormis, qu’on recueille dans sa paume

Au rire des enfants sur un manège brillant

A la terre, nourricière, qui fume après la pluie

A un nom, sur une tombe, qui brille dans le soleil

A une vague, sur la plage, qui reflue en chantant

A la vie, si secrète et si belle

A la mort, dernier repos des marins inquiets

A l’amour, pour qu’il ne meurt pas….

Préface

Dans ce carnet de misère et de larmes

Où j’ai inscrit mes peines et mes espoirs

Déçus, où j’ai vidé mon âme

Dans ce carnet de sang, couleur de désespoir

Il vous faudra trouver qui j’ai été

Vraiment… Chaque page est un chant

Une corde de mon âme que j’ai pincée

Une porte de mon cerveau entrouverte doucement

Lecteur, curieux ou connaisseur

Pèse chaque syllabe de ce qui suit

Chaque sous-entendu même noyé dans la peur

La clé de mon royaume qu’ici je te cède

Peut à tout moment se rompre dans tes mains

Si tu ne prends pas garde à l’essence

Des mots, au rythme des vers cristallins

Il est si difficile de lire une voyance!

Prologue

De la fenêtre du métro, hier, j’ai vu une affiche pour un nouveau groupe de rock: Les passagers. On y voyait quatre jeunes gens assis sur un banc, l’air ennuyé, qui regardaient marcher une vieille dame. L’affiche disait: Nous sommes tous des passagers en partance pour nulle part. Ils ont presque raison; oh, mon dieu, s’ils savaient comme ils ont raison. Mais peut-être qu’ils savent, peut-être qu’ils en sont vraiment. J’ai été pris d’un mouvement de recul, je devais avoir l’air étrange car j’ai vu mon voisin d’en face qui me regardait avec insistance. J’ai souri d’un air bête, et je me suis levé, pour sortir au prochain arrêt. L’air frais du dehors m’a fait du bien. J’ai traversé le boulevard pour me rapprocher de la Seine, qui coulait paisiblement. En suivant des yeux le fil de l’eau, je sentais des souvenirs remonter à la surface de ma mémoire, comme des bulles. Je me mis à fredonner cette chansonnette ridicule qu’Isis m’avait apprise:

Ils sont parmi nous, ils nous regardent

Ils passent, et repassent, entre nos vies rigides

Pales fantômes, qui nous regardent

Mais nous ne les voyons pas,

Parce que nous ne voulons pas les voir

Alors ils passent et repassent

Passagers de nos vie qui ne vont nulle part

C’est par Isis que j’ai connu mon premier passager. Nous étions allés à un spectacle de Bartabas, l’opéra équestre. Dès le début, je m’étais senti envôuté par ces chants venus d’un autre âge et par l’étrange harmonie des litanies lancinantes berbères qui faisaient échos aux chaudes voix des chanteurs caucasiens. Sur la piste, des hommes-chevaux virevoltaient dans un nuage de sciure, renaclant, piaffant, cabriolant, sautant et ressautant au rythme des tambours. Fasciné par le spectacle, je n’avais pas fait attention aux gens qui m’entourait, et c’est à peine si je prêtai attention au murmure d’Isis, qui me souffla dans l’oreille: Tiens, tu vois, lui, devant, c’est un passager. Machinalement, je jetai un œil vers l’homme qu’elle me désignait. De prime abord, je fus frappé par l’intense impression d’ennui qui semblait se dégager de toute sa personne. Une gabardine grise froissée et tachée, un col jauni, des cheveux sagement plaqué avec une brillantine bon marché qui devait sentir le savon de Marseille…Il semblait suinter l’ennui par toutes les pores de sa peau. J’imaginais déjà sa petite vie tranquille, réglée comme une horloge à quartz, seulement illuminée par l’annonce des rapports du tiercé le dimanche après-midi. J’allais demander à Isis ce qu’elle pouvait trouver d’extraordinaire à ce bonhomme, quand par le jeu des projecteurs, un pinceau de lumière tomba sur lui, et lui éclaira le visage. Il avait des sourcils très fins, presqu’inexistants, un nez aigu comme un rasoir, une bouche pincée aux lèvres minces qui lui donnaient un air d’extrême jeunesse. Mais ce qui me frappa, ce fut l’expression de son regard: il regardait fixement devant lui un point imaginaire, quelque part sur la piste, en une attitude qu’une inspection rapide eut pu prendre pour de l’ennui profond. En le regardant plus longuement, je m’aperçus cependant qu’il dormait les yeux ouverts.. J’ai rencontré beaucoup d’autres passagers par la suite, et j’ai eu l’occasion d’observer plus précisément cet état léthargique qui caractérise les premières phases du voyage. Jamais je n’ai pu me départir de cette première impression d’avoir affaire à un être en état de sommeil éveillé.

Puis, le projecteur bougea, et la face de l’homme replongea dans l’ombre. Je me tournai vivement vers Isis, qui me regardait de son petit air moqueur, comme une grande sœur sourit à son petit frère quand elle lui a fait entrouvrir la porte du jardin défendu. A la fin du spectacle, l’homme disparut dans la cohue sans que j’ai l’occasion de le dévisager à nouveau pour voir s’il s’était réveillé. Je pris sans un mot la main d’ Isis, et l’emmenai avec moi s’asseoir sur la berge du canal avoisinant. Sous le couvercle du ciel où les étoiles s’allumaient une à une, elle me raconta l’histoire des passagers.

Isis, l’amante intemporelle

Les mystères du rouge ciel s’engorgent. La nuit est belle, l’avez-vous vue ? Les chemins, sable ou rivière, s’écroulent sur le sel….de la vie. Tu me manques. Pas une drogue, un opium, un rêve ou un délire ne m’amènera jamais plus loin que ça. Ça, ce qui traîne loin dans un coin, un repli de ma mémoire. Le mystère plane, rauque et rose. J’aime regarder la nuit vous savez. Plonger mon regard clair dans ses orbites vides, et scruter l’avenir, le passé ou la fin des temps. J’avais des visions petite. Je voyais le monde en deux, je veux dire en double. Il y avait le monde réel là, gris ou blanc, vrai ou faux, un peu bruyant, terne ou fort. Et puis l’autre en surimpression. Portais-je mon regard sur un arbre ? Il devenait forêt, royaume sylvestre d’une nuée d’elfe ou de nain. Un caillou était une falaise, un nuage un cheval céleste, un regard un défi, un sourire une défaite. Je buvais silencieusement l’élixir que distillait la pluie. Je croyais que cette potion me ferait grandir plus vite. J’allais dans les pelouses cueillir les trèfles vieux. Ceux à quatre feuilles ne m’intéressaient pas. J’aimais la vie à cause du vent, de la mer ou du ciel, de la force de chacun de ses éléments sur mon corps frémissant. J’aimais et je haïssais ma solitude, comme une terrible mission qu’on m’aurait confiée. Je cherchais dans le regard des autres un signe d’encouragement, d’approbation. Je ne rencontrai que l’indifférence et l’ennui. Il m’arrivait de sourire, comme ça, avec mon air un peu espiègle et rêveur. Les gens me regardaient comme une étrangère. Je pouvais passer de l’état d’abattement le plus mélancolique à une sorte de gaîté inépuisable, d’un silence morose et taciturne à un rire hystérique. Je vivais au coup par coup, chaque jour. Reine d’un royaume invisible, les chevaliers gantés au heaume étincelant m’accompagnaient sur le chemin de l’école. Mes vrais amis n’étaient ni vieux, ni jeunes, ni noirs, ni blancs. Ils avaient le regard des statues et l’âge de mes rêves, la couleur de l’enfance et la force de l’idéal. Je vivais dans l’attente des miens de ces chevaliers des étoiles qui descendraient de la nuit un jour pour m’emporter vers mon royaume incandescent. Je les appelais le soir, en sanglotant parfois, parce que le Mur m’effrayait. Ce mur était si haut, si solide. Je ne me souviens plus de la première fois ou je l’ai rencontré. Il faisait partie de mon quotidien, comme les visages double facés du monde. J’en rêvais parfois la nuit, à l’heure de retrouver mes compagnons de jeux. Je crois bien que je n’ai jamais réussi à le franchir. Il bornait mon horizon de sa silhouette hautaine. Je vécus ainsi, jour après jour, année après année. Les événements forgeaient mon âme, et mon cœur, et je voyais partir mes amis, un par un, le long de la route. J’aimais parfois…avec la sérénité vaque et absolu d’un enfant. Jamais on n’a voulu de cet amour si entier. Je pleurais la nuit en demandant de l’aide. Je promettais des choses insensées, comme seuls les petits le peuvent. Je m’humiliais à dessein, me trouvais bête et stupide. Mais je ne voulais jamais quitter ma réalité. J’ai voyagé aussi, quitté mes proches, mon pays, la fatalité pour des contrées mystérieuses. Je crus être touchée par la grâce, trouver enfin l’aboutissement de ma quête de toujours. Ce n’étais qu’un leurre habilement monté par le destin.

Je suis revenue maintenant. Mes rêves de toujours ne se sont pas éteints, mais mon cœur a changé. J’ai toujours cette soif de donner, mais j’ai perdu l’amertume du regret. Je voudrais du bien au monde entier, rester une enfant au grand regard naïf. Je suis prête à toutes les blessures de la vie. Mon cœur me semble si grand que plus rien ne pourra le tarir. Je serai celle qui se donnera au monde.

Horus, l’utopiste réaliste

Je m’appelle Judas. Je suis juif . Pourtant moi, Judas, pour trois petits deniers, je vais trahir le Maître, mon Maître .

Je sais que mon nom va devenir symbole de trahison, de bassesse et de vilainie. Ma mémoire sera à jamais bafouée par les générations futures. Je serai méprisé, chassé de partout. Et pourtant, même sachant cela, même si je suis son disciple préféré, je vais Le trahir, et rien ne pourra entamer ma résolution. Car c’est le seul moyen de sauver le monde.

Il y avait un homme qui crut être Dieu et qui changea l’histoire. Guerre et paix. Histoires du monde, automatiques brouillons des lettres que l’on reflète, pour remonter le passé. Il y a longtemps, il y avait dans le désert, un homme nommé Horus. Et il s’assit sur la colline, et écouta la Nuit. Que lui dit la Nuit ? On raconte que c’était le Diable qui parlait, qui lui promettait milles béatitudes, mille bienheureusetés, la puissance et la gloire… Il écoutait. La puissance et la gloire, que lui importe ? Sait-il qui il est, la force de sa vie dans le poids de l’Histoire ? Il est assis sous l’Olivier, adossé à la Nuit, et il rêve en regardant les étoiles. Il pourrait être charpentier, élever ses gamins à l’ombre de la Judée, arroser le Terre de sa sueur, vivre. Mais il y a le Destin, les Etoiles qui lui chantent la litanie. La Puissance et la Gloire. Peut-on refuser la route soyeuse, peut-on vivre doucement à l’Ombre de la nuit ? La Nuit parla, et lui promit la Puissance et la Gloire, et il la prit toute. Il ne sera jamais ni obscur, ni commun, ni inutile. Il est Horus et il a changé la face du monde. On ne résiste pas aux accents de la Nuit. Guerre et paix, c’est ce qui s’ensuivit. Car la Nuit, comme toutes les maîtresses, n’aime le repos que lorsqu’il suit ou précède l’insomnie.

Désormais, vous en savez autant que moi. Le jour agonise lentement comme le fera mon Maître sur la croix. Dans une heure, je vais me lever, chausser mes sandales, et j’irais au Palais pour le livrer et recevoir ma médiocre récompense, et sceller Son destin, et sceller Ma mémoire. Puissent les génération futures découvrir un jour mon véritable rôle !

Osiris, le voyageur infatigable

Grise et poussiéreuse,, lumière diffuse sur les cailloux timides, long déroulement vers le futur et l’horizon mystérieux… La route ! Elle est là, devant lui, comme une vague promesse, comme un dernier espoir. Il a tourné le dos à la ville endormie, aux visages familiers qui reviennent le hanter. Il leur a tourné le dos et fait face à la route, pale dans la vallée ou la lumière pleut…Le vent discret et tiède lui fouette les cheveux et sèche une à une ses larmes scintillantes. La route, là-bas, déroule son long bras grisâtre et l’appelle, en, silence, pour qu’il vienne s’y fondre. Lui, il sait bien qu’il ne résistera plus longtemps à ce charme enjôleur et que bientôt, il marchera, pied sur pierre, âme dans brise, cœur dans futur, loin des villes maussades ou les cauchemars tournoient…

Et quand il revint, il sut qu’elle était partie. Pauvre folle. Il poursuivait un fantôme, et il n’a pas su retenir la réalité, la terre qui s’accroche aux talons, l’odeur du bois mouillé qui pétille, la vaisselle qu’on repasse sans l’avoir lavée. Il était revenu et ne trouva qu’un désert. Il tourna et retourna la lettre, cherchant un écho dans son esprit.  »  Je peux combattre un être de chair et de sang, de passions et de faiblesses, d’ordre et de désordre, mais un fantôme vacillant, enjolivé par ta mémoire et tes fantasmes, je ne m’en sens pas le courage « . Il avait couru après un fantôme de sa vie, toute sa vie, et il avait perdu le sens de sa propre vie. Il tournait et retournait la phrase dans sa tête, et l’absurdité de l’absence, le désarroi du vide envahit son âme et l’assomma. Il regardait autour de lui, avec ce regard du prisonnier qui sort enfin du cachot sans fenêtre. Il avait tenu le bonheur dans sa main sans le reconnaître. Il avait vendu la réalité pour vivre dans son monde fantasmagorique, et la réalité lui retombait brusquement dessus, l’envahissait de sa platitude, de sa grisaille, de sa réalité ! Soudain, l’urgence de la situation le frappa, et le réflexe de vivre l’envahit d’un coup. En un éclair, il déchira de sa mémoire les images passées de la vie qu’il ne vivra jamais, il extermina les regrets inassouvis et les désirs passés. Méthodiquement, avec la rage froide du condamné à mort, il extirpa de sa mémoire tout vestige de ce qui ne fut pas…Et il se releva, prêt à vivre à nouveau, à tout recommencer, dans la réalité, l’épouvantable réalité.

Mais il était trop tard… Il faut prendre le train de la vie quand il passe, et il ne passe qu’une fois.

Seth, l’ultime réponse

Dans la grande cathédrale noire et silencieuse, je suis là, je suis seul, et je pleure…Juchée sur une vieille balustrade en bois, indifférent aux allées et venues des touristes bestiaux, je pleure, silencieusement, désespérément…Une à une, les larmes roulent sur ma bouche, mon cou, comme une longue et dernière caresse. Devant moi, une vieille statue qu’illumine la rosace, qu’auréolent les bougies…Dans mes yeux, le brouillard et un feu triste, o si triste que les passants eux-mêmes se retournaient à mon passage. Dans mon âme, le vide, l’angoisse, la peur…d’étranges et pauvres mots qui se forment et s’étiolent, une vague prière couleur de désespoir et de solitude, une pauvre supplication qui ne s’énonce pas. Il faut froid et sombre dans la cathédrale déserte ou la foule s’agite et le silence, écrasant, indifférent m’enveloppe…Je suis la, et je pleure.. ;Dehors, je sais que le soleil rougeoie et que la Seine s’écoule, impassible, que la vie continue…Mais moi, ma vie s’est arrêtée un doux soir de Décembre, et ni Dieu, ni les hommes ne pourront jamais me la rendre 

 » J’ai cueilli ce brin de bruyère

L’Automne est morte, souviens-t-en

Nous ne nous reverrons plus sur terre

Et souviens-toi que je t’attends « 

C’était comme un soleil sans joie, une aube sans promesse, une terre désolée. Les grains du temps limpide égrènent la sentence. Noir, vide et lac de Jais, il pleure, je pleure. Les mots, les dires, les écrits, les promesses s’envolent… Le chagrin reste.  » Nous ne nous reverrons plus sur terre  » La sentence est limpide, claire et absurde. Plus jamais, je le sais, je voudrais le nier, mais que faire quand la réalité s’abat comme un couperet dans notre âme blessée. L’Adieu est la, il est absent Mon petit brin de bruyère reste collé comme une plume misérable au vide des phrases creuses et des silences impuissants  » Nous ne nous reverrons plus sur terre « , je ne la reverrai plus sur terre, ni ailleurs, ni jamais ! L’haleine fétide du désespoir m’englue dans le passé, l’Avenir et la Mort, dernière grille jetée entre moi et la Faux ….

Epilogue

Elle resta là les yeux clos

Sur sa terre mouillée, l’eau

Des étendues bleutées

Dégoulinait des vasques glacées

Elle resta là, les yeux clos

A écouter chanter dans l’enclos

Les dernières cigales de l’été

Qui se mouraient dans l’astre défait

A humer dans l’air sourd du soir

L’âcre senteur du foin qui vient de choir

A écouter sonner dans la prairie

Rousse le glas de ceux qui rient

Elle resta là, les yeux clos

Pour ne plus endurer la souffrance du Beau.

Ennui

Quand les secondes s’étirent sous le regard des Dieux et qu’on ne sait plus bien si on rêve, cauchemarde ou peut-être les deux, quand il ne suffit plus d’espérer pour attendre ou de se désespérer pour partir, alors on reprend son petit bout de papier, le crayon qui clignote sous la lumière cendrée et on jette la ses désirs, ses espoirs, ses attentes, tout ce qui traîne dans son cœur poussiéreux. Parce qu’on sait bien qu’on les relira un jour, et qu’on se souviendra de ces longues secondes passées à ne rien faire d’autre que de les laisser passer à ne rien faire d’autre que de les laisser passer, de ces longues secondes si grises, si mornes, inutiles, GASPILLEES peut-être. Et qu’on les regrettera.

Houle

Sous la houle

De l’océan

Roule, boule

Le poids des ans

J’égrène le sable

Dans mes doigts sertis

Petits grains d’opale

Que la mer a cuit

C’est comme une fournaise

Cette plage, comme un brin

D’enfer ou d’ère maltaise

Mais on est si bien

Sous les vagues

De l’océan

Vont et divaguent

Les cœurs d’enfant

Fantôme 2

Il y a des ombres autour de nous, des spectres roses ou des fantômes diffus. Ils nous regardent -d’en dedans- et nous sourient ou nous murmurent des chants. Il y a des ombres, autour de nous, fils scintillants dans le lointain. Moi, je les vois, vous les voyez, Nous les voyons. Mais nous ne voulons pas les voir. Alors ils passent, devant nos yeux, douve vision, qu’on sent à peine. Ils passent, et puis repassent, dans nos yeux, dans nos cœurs, et nos âmes, le sourire triste, l’œil embué. Je les connais, ce sont mes frères, mes cousins, mes aïeuls. Dans ma mémoire, je les recrée, dans mes délires, je les revois. Je les connais, ils me connaissent. Mais trop souvent, je les oublie. Ou les néglige.

Halloween

Le jour se couche à regret

Dardant tristement sur la ville

Ses derniers rayons dorés

Que l’ombre, un à un, annihile

De tous les coins obscurs et louches

Des cabarets miteux aux cimetières

Sinistres, tout ce que le mal touche

S’éveille lentement et déterre

Ce qu’au plus profond des ténèbres

L’astre resplendissant avait enseveli…

D’étranges sorcières au sourire grimaçant

Dansent en ricanant avec les feux follets

Adam, le cou serti d’un serpent

Offre aux passants la pomme du péché

Tandis que dans l’ombre qui grandit

Mille prunelles avides luisent et guettent

Le lutin isolé qui tremble et frémit

En serrant sur son cœur son bouquet de violettes

D’étranges sarabandes de monstres aux yeux

Noirs passent dans les rues tristes

La terreur s’agrandit dans les yeux

Des enfants aux cœurs tristes

Halloween, jour du mal, et des joies lugubres

Fête satanique où l’on célèbre

Le règne du démon et de ses Gubres

Tristes qui gouvernent les ténèbres

Halloween, nuit enchantée et terrible

Qui sait où et quand finira

Cette mascarade horrible

Et si elle finira ?

Je suis

Je suis le Feu Follet des nuits azurées

Qui gambade sur les joncs et les marais ternis

Je suis l’Ombre qu’on saisit et qui fuit

Par toutes les entrées des maisons dérobées

Je suis le gai Pinson qu’on n’enferme jamais

Qui pétille au soleil, à l’aube dans les champs

Je suis la brise tiède des étés décadents

Où les rayons aigus martèlent les rochers

Je suis le Farfadet des alpages roussis

Qui ensorcèle l’eau et les grandes futaies

Je suis la Fée espiègle qui hante les roseraies

Dans tous vos rêves et vos espoirs partis

Ni les hommes, ni les Dieux ne pourront jamais

Dresser les murailles pour me bien retenir

Souviens-t’en.. Je veux te prévenir

N’essayes jamais un jour de m’enchaîner…

Sur la terre rouge

Sur la terre rouge

Où les fourmis s’endorment

J’ai retrouvé les symptômes

Des fantômes de Jarrouge

J’ai vu le sang perler

Aux herbes décharnées

Les flammes vaciller

Sur les roches cendrées

Un peu de fumée blanche

Flotte encore hors des murs

Ils avaient le cœur pur

Et la prunelle franche

Ils étaient comme mes frères

Peu soucieux du futur

Et du Destin trop sûr

Ils étaient tous mes frères

Maintenant, la terre

Est rouge . Le vent

Parfois porte leurs chants

Du fond des noirs Enfers

Galgate

Mer de jaspe, poussière d’étoile.. Mystère

Un soleil noir qui pleure dans l’azur rouge

Chaînes déchiquetées, sol criblé de pierre

On dirait que le temps tue tout ce qui bouge

Pas de joie sur ce désert atroce

La cendre qui recouvre les cicatrices du sol

Laisse dénudée les pierrailles féroces

Le temps tourne plus vite qu’une boussole folle

Cette terre désolée, ce monde minéral

Ces montagnes lépreuses, ce ciel écarlate

J’en rêve chaque soir dans l’espace sidéral

C’est là qu’il faut rire et mourir, à Galgate.

Le soleil levant

Le soleil levant

A brisé le vent

Rompu les serments

De celui qui ment

Le soleil levant

N’est plus comme avant

Au temps de la rose

A la moue morose

Le soleil levant

Murmure souvent

Que les larmes claires

Ne durent qu’un éclair

Rêve

Le pourpre des pensées s’arrache au pâle batel des espoirs éteints. Il y eu des rêves cette nuit, des rêves étranges et noirs, sans consistance ni forme, couleurs de la muraille et saveur de savon. Il ne faisait rien, il ne goûtait rien, il ne sentait rien, juste replié sur la douleur qui baignait son torse frêle. Il n’a pas plu cette nuit sur la maison recueillie. Les palmes du grand arbre frissonnaient dans la brise, une étoile égarée vagabondait dans la nuit moite et chaude. Il y eu des rêves cette nuit, mais ces rêves étaient si inconsistants que la mémoire engourdie ne pouvait les saisir. La pulpe des pensées gargouillait dans le silence, et il-elle rêvait aux futurs impossibles.  » remember the promess you made « . La phrase lui brûlait le cerveau au fer rouge et il-elle savait ce qui ne serait jamais, et la phrase était toujours là. Même dans les rêves les plus électriques. Jeudi matin, il-elle sut enfin son destin. Le regarda bravement et fermement de son œil doré. Le pesa et le soupesa dans sa tête bruissante. Le haït et l’aima. Et puis l’accepta. Nous ne sommes que des jouets de nos illusions.

Arbre

Regardant par la fenêtre, je fus fascinée par un arbre. Un bête, un stupide, un vulgaire arbre. Il était là, penché, un peu triste, sa chevelure roussie par les flammes de l’an dernier dégoulinante sur ses épaules boisées. Se sentait-il vieux, ou seulement accablé par cette chaleur lourde et sèche qui suinte du ciel, des nuages tourmentés, des blocs de lave qui luisent au soleil.

Les criquets se sont tus au dehors. Ils écoutent monter dans le vent la lente litanie sylvestre, la lente et chaude litanie, couleur d’automne, odeur des aiguilles de pin et de la sève qui perle sur leur écorce comme des perles de sueur sur le torse d’un athlète. Ils écoutent, recueillis, le rire des écureuils espiègles qui jouent dans les buissons. Ils écoutent et ils prient, dans cette nature sereine. Moi, derrière cette fenêtre, je regarde l’arbre au loin, et je sens remonter dans mon âme la douce nostalgie de ceux qui ont un jour su. Et qui ne savent plus.

Fenêtre

Par la fenêtre, je vois un petit pan

De gris, terne et froid. Lentement

Quelques rues paresseuses

Croisent au dessus des tuiles rêveuses

Il bruine…de fins grelots

Mouillés s’accrochent aux roseaux

Elles tissent un chant

Lequel ? J’ai peur de l’enfant

Que je fus et qui ne connaît

Plus les secrets que lui jouait

La pluie sur les carreaux

La brume dans les rideaux

Je sais à nouveau écrire

Mais c’est pour décrire

Ce p’tit matin pluvieux

Où l’on se sent si vieux

Si naïf

Et c’est définitif..

Inspiration

Je n’écris plus…Parce que je n’ai plus les mots. Je les ai perdus, dans la glu terne du temps qui s’écoule, des délais qu’il faut tenir, des rendez-vous à ne pas manquer… Je ne sais plus prendre le temps de m’arrêter, contempler béatement l’infime jonction du passé et du futur que l’on nomme présent, et me torturer l’âme, me purger le cerveau de mes angoisses, mes joies, mes peines…Le Fleuve s’est tari, c’est la faute à la Vie…trépidante. O, je ne m’en plains pas. Pas vraiment. Pourtant, au fond de moi, je sens qu’il me manque une dimension. La dimension du rêve, de l’imaginaire, de l’irréalité. MA dimension…

Un jour, tu me perdras

Un jour, tu me perdras

On perd bien la mémoire

Malgré les vieux grimoires

Elle est trop mince l’enceinte de tes bras

Un jour, tu me perdras

Sans espoir de guérison

Regarde à l’horizon

Tu vois, cette ombre : c’est moi

Un jour tu me perdras

Je ne suis plus l’enfant d’autrefois

On m’a cassé mes rêves d’Ortelat

Je ne veux plus jouer même avec toi

Un jour tu me perdras

Je t’en prie, écoute moi

Il ne faudra pas pleurer ce jour-là

Personne n’aurait pu me retenir là

Un jour, tu me perdras

Souviens-toi de ce que je te dis

Le futur est pour moi plus clair que l’Ardie

Souviens-t’en quand tu me perdras

Mots

Je parlerai larmes et désespoir

Pourriture de l’âme au fond des gouffres noirs

Brisure des rêves beaux, cauchemars

La brume grisâtre des ans, maigre chant de départ

Je dirai les entrailles des espoirs décadents

Des étoiles poussiéreuses, des sols incandescents

Des brises d’asphalte et des forêts de jambe

Quand sous les nues dorées l’air s’échappe d’Iambe

Je chanterai les douleurs des désirs abolis

Le temps dégoulinant des vasques lazzulis

L’ombre qui s’étend sur les plaines arides

L’horreur des miroirs et des regards vides

Mais je sais bien maintenant que, toi parti,

Il ne me restera plus dans ma panoplie

Que trois mots frêles et timides

Que ni les tours babeléennes ou les hautes pyramides

Ne m’arracheront aux tourments impavides

Des déserts flamboyants et des journées trop vides

Simplement, comment le sauras-tu, toi,

Alors que j’ai perdu les mots pour le dire depuis tant de mois..

Savoir

Je sais l’odeur du temps dans les souvenirs défunts. Et le poids des regrets dans les mémoires ternies. Je sais l’envie de l’absolu et le goût des mystères, le remords des occasions perdues et des choses non concrétisées. Hier en fut une, peut-être. Il me suffisait d’un geste, d’une ouverture, d’un détail si infime…que je ne voulus pas faire, tant graves en sont les conséquences. Le paradoxe est là, moi, la femme de feu aux sentiments si passionnés, j’éteins sous l’eau de la raison chacun de mes mouvements internes. Peut-on connaître la force qui me pousse ainsi ? Je ne la connais pas encore bien, certains invoqueraient l’intuition, d’autres la prescience, d’autres encore la mémoire du passé-ou la méfiance. Qui sait ce que l’avenir réserve ? Qui sait ce qu’on doit croire, ou ne pas croire ? La vie n’est pas si simple, faite de cicatrices mal recousues et de plaies encore béantes. Je comprends le passé, déjoue le futur, et n’ose plus m’avouer à moi-même la vérité, cette petite phrase si courte qui me fait si peur en français que je n’osais plus me la répéter qu’en une langue étrangère. Y-a-t-il un avenir a tout ça ? faut-il faire confiance à ses impulsions, et terrer la bête raisonnante qui sommeille en moi et me fait tout analyser avec une lucidité infernale ? Y-a-t-il un avenir dans tout ça ? Si oui, LEQUEL ?

Cirque

Sur la scène, les dragons scintillants virevoltent et mangent le soleil, se battent et le recrachent. Les danseurs, roses nénuphars, glissent sur le sol et s’enlacent. Les danseurs, cavaliers fiers, sautent et rebondissent. Puis l’homme à la natte luisante, à la robe chatoyante, empoigne son flûtiau et le fait chanter. Sous ses doigts frémissants, le roseau se tord et frétille, et il chante. Il chante la lune laiteuse sur un lac paisible, une biche qui lève la tête et écoute, un buisson qui frémit et scintille sous la lumière d’argent. Il chante, en courtes notes acides et claires, la nuit calme et sereine…Et la beauté. Il chante, mes yeux s’embuent, mon cœur se serre et une douce tristesse m’étreint. C’est que la beauté, comme le bonheur, est un être périssable.

Acrobate

Arc de lumière

Paillette de paupière

Arc de folie

Brin d’espièglerie

Pirouette folle

Silhouette molle

Cris d’admiration

Bris d’adoration

Oiseaux de tissus

Poupée de fétu

Acrobates, sautez

Jongleurs, chantez

Arc de lumière

Paillettes d’hier

Arc de folie

Chaleur de la nuit

Cerf-volant

Dans le vent, virevoltants

Tournent, tournent les cerfs-volants

Parfois, majestueux

Ils planent au milieu des cieux

D’autrefois, tremblotants

Ils plongent au sol en hurlant

J’en connais des audacieux

Défiant la terre et les dieux

Qui montent au ciel en chandelle

Plus haut que les tourterelles

D’autre plus taquins

Tomberont pour un rien

A la moindre saute de vent

Pour ne pas rester en avant

Dragons sifflants ou gentils rossignols

Carapace dorée ou large robe molle

Volant tête nue ou enrubannés

Seul ou en bande caparaçonnée

Ils tournent, tournent, les cerfs-volants

Dans le soleil et dans le vent

Baudelaire

Baudelaire prenait son pinceau de lumière

Moi, je tache les mots à grandes pattes de mouche

Magicien des vers, il savait l’essence des silences

Le prix des martèlements et des sifflantes

Le charme d’un pied bancal, toujours fringant

L’équilibre du son, de la phrase

Il sut être magicien. Il était fou.

Il l’est. Les vers qu’il nous a laissés

Cette conscience tourmentée du voyage

L’appréhension des bornes de l’imagination

Il aurait pu être l’empereur des rêveurs

Baudelaire fut le bouffon des faiseurs de chimères

Ecrasé par sa mission fantôme, crever nos yeux usés

Par la monotonie des jours. Poète, mal de vivre

Son mal de vivre est le sel de nos vies.

Regarder une charogne avec les yeux de Charles

C’est une lumière qui passe et l’éclaire de l’intérieur

Du temps. Il fut le premier voyageur du Temps,

Le premier à décrire cette langueur qui étreint les passagers

Des plongées temporelles, l’angoisse devant le mur insondable

Des secondes futures.

Tremper son pinceau dans l’encre ordinaire pour décrire le génie, ce n’est pas très habile.

Le vitriol des journées ordinaires serait plus adapté.

Il faudrait plus de roulis sur les vagues de l‘espoir et dans la mer de l’inspiration.

Marins, pêcheurs ou voyageurs, apprenez à reconnaître les pores de l’angoisse,

C’est par là que transpire la vie

Ennui2

Le soleil de l’été qui se meurt

Dilate faiblement les vaisseaux de mon cœur

La mer de sang au goût âcre et amer

Qui roule au fond de moi en incessante guerre

Déchaîne des tempêtes de passions et de vaines folies

Dehors, l’immonde, la géante, l’infernale Paris

Assène sans pitié ses sourdes cacophonies

Qui rythment d’un pas pesant la marche de mon ennui

Ennui, ennui qui toujours me dévore

Qui jamais ne me laisse à bon port

L’océan de ma vie est noyé sous les brumes

L’embrun couleur du temps que malgré moi je hume

M’éclabousse salement de sa fétide haleine

Chaque gouttelette que ce démon m’assène

Me fait perdre un peu plus ma jeunesse et ma joie

Dieu du ciel, de la terre ou du feu, ma foi

En vous va en décroissance morne

Au fur et à mesure que mon futur se borne

L’hiver, l’hiver froid de ma vie est bien là

Pauvre peuple de termites, je suis lasse de çà

Les murs gris et ternes d’un lycée parisien

M’amènent chaque jour un peu plus, vers la fin…

Porte

J’ai franchi ce matin les portes de la ville dorée…Le ciel était opaque et lourd. Seul flottait sur la mer un voile glauque et bleuté que perçaient timidement les rayons d’un soleil maigre et pale. Les vagues scintillaient dans cette lumière sourde et la ville, tout là-bas, perdue dans la brume rousse, semblait somnoler et sombrer hors du temps…Des bateaux, près du pont, roulaient au gré des flots. Le regard embrumé par les vapeurs d’iodes, les cheveux raidis et blanchis par le gel, j’ai marché vers ce rêve qui me tendait les bras. L’eau. L’eau était reine et tous s’y soumettaient. J’ai vu des palais de marbre et de verre qui tremblaient devant elle, leurs portes vermoulues fléchir devant son poids, des colonnettes ciselées, des mosaïques dorées, des grilles de fer forgés, des jardins orientaux porter son sceau viride et frémir à son chant…Elle s’étend là, glauque et froide, tantôt paisible sous ces canaux étroits, douce sous la gaule des gondoliers qui lui murmurent leur joie, tantôt furieuse et déchaînée sur les ruelles pavées, lançant ses flots d’écume contre les murs rongés, dévastant les palais et leur splendeur vaine.. Combien de temps encore acceptera —t-elle d’épargner la ville fragile ? J’ai cru voir déjà dans les reflets fugaces la vision de la fin, de la chute suprême dans un délire de feu, d’or et de marbre, l’engloutissement final sous les chapes aquatiques…mais l’eau verte et profonde a refermé son cœur et la vision s’est effilochée dans le sillage des gondoles d’ébène.

Nuithorus

La nuit obscure et lourde est tombée sur les bois

Figeant les âmes et les hêtres dans une immobilité roide

D’étranges ombres sauvages et froides

Flottent sur les rochers où les pierres flamboient

Pas de lune, pas ; d’étoiles, pas d’espoir

Le ciel est comme un gouffre profond

Où se mêlent et se perdent chacun de mes frissons

Nous faudra-t-il mourir sans avoir vu Altor ?

Et leurs pauvres lucioles ont beau s’évertuer

A dissiper le noir de ces vastes ténèbres

Elles ne jettent ce soir qu’un pâle éclat funèbre

Que le rire de la Nuit a tôt fait de tuer

Lune2

Madame erre rêveuse

Dans sa couche cotonneuse

Distrait de son œil vert

Le cœur du beau trouvère

Madame, paresse, heureuse

Dans sa maison cireuse

Enchante de sa robe d’argent

Les rêves du petit enfant

Madame se cache, peureuse

Dans sa robe vaporeuse

Nargue de ses grelots dorés

Les sorts du méchant sorcier

Madame la Lune, pouvez-vous

Me dire s’il faut croire en vous

Alors qu’au loin chantent

Les cigales de l’aube couchante

Astre

Dans l’orée de la nuit

La source a rejailli

Abreuvée d’étoiles

Dans la blanche toile

Le fruit est tombé

Gorgé de sang lacté

Il flotte dans le ciel

Une ombre de miel

Il court dans les bois

Un murmure d’alois

Il chante dans les pierres

Un ruisseau de genièvre

C’est l’heure de dormir

Paupières, de frémir

Sous le chant argentin

Des astres sybillins

Mort2

Un œil dans un miroir terni

Une larme dans un iris vieilli

Une ride dans un bouquet fané

Une tache sur une nappe usée

Une ombre est passée dans la pièce

L’horloge a perdu son tic-tac

Le bois que les termites attaquent

Craque comme un habit qu’en vain on rapièce

Il flotte, dans ce décor vieillot

Comme le parfum d’un âge d’or qui s’éteint

On sent dans l’atmosphère éteint

Le souvenir ancien d’un goût de renouveau

Mais le bruit de la faux qui siffle, suraiguë,

L’Ombre qui s’étend derrière les vitres brisées

Le Temps qui s’épaissit sous les meubles trop cirés

L’Odeur âcre et subtile de l’acide Ciguë

Tous te rappellent que le temps t’es compté

Et qu’il faudra payer !

Temps

L’angoisse du temps existe, je l’ai rencontrée. J’étais encore une fois entre ces murs gris et ternes, et, comme à mon habitude, je m’ ennuyais. Conséquence fatale et ô combien usuelle : un coup d’œil à ma montre. Et c’est alors que…Comme un voile qui se déchire, une brèche s’est ouverte dans ma conscience, et le temps s’est aboli. Je me suis vue, ou plutôt j’étais moi il y a 12 ans, et moi dans 20 ans, avec toutes les contradictions que cela peut supposer. D’où une angoisse incommensurable, l’angoisse de l’enfant dont la conscience vient de se réveiller face à l’adulte qu’il sera fatalement…L’angoisse de l’adulte mûri face à cet enfant encore plein d’avenir et d’espoir, l’angoisse de l’adulte qui prend conscience de toutes les potentialités évaporées…

Et moi, adolescente, j’étais là, déchirée au milieu. J’aurais voulu, si j’en avais eu le pouvoir, à la fois redevenir enfant, avec la vie devant soi, et puis devenir un adulte autonome tenant sa vie entre ses mains…

Soudain, tout s’est éteint et je suis revenue dans cette bête salle de classe. Et je me suis rendue compte qu’à chaque seconde, j’étais à un carrefour et que de mes décisions dépendaient ma condition future, et mon devenir ou non-devenir, ma transformation ou ma non-transformation en cet adulte angoissé, lucide, et désespéré…

Je me suis rendue compte que, fatalement, toutes mes décisions me précipitaient vers le Destin qui m’avait été tracé, que chaque coup d’œil à ma montre était un maillon dans la chaîne qui m’y conduisait…Impuissance de l’être face à son Destin qu’il sait inexorable !

Que ceux

Que ceux qui se lèvent dans le vent

Démons foudroyés ou anges turbulents

Que ceux qui s’inclinent dans le soir

Clochards blêmes ou clercs vêtus de noir

Cherchent un peu plus bas le savoir

Dans les livres jaunis ou les vieux grimoires

Que ceux qui pleurent dans la nuit

Enfants battus ou femmes démunies

Que ceux qui cherchent dans la pluie

Passant vague ou voyageur vieilli

Regardent le ciel qui s’embrase

Passer les nues rêveuses à la barbe rase

Que ceux qui rêvent dans l’herbe sèche

Indiens fiers ou conquistadors revêches

Que ceux qui dansent dans les champs

Sirènes mélodieuses ou magicien incantant

Ecoutent dans les grands arbres gris

Le chant des espaces infinis

Que ceux qui scrutent l’horizon

Ames inquiètes ou esprits molassons

Que ceux qui redoutent le lendemain

Exilés de toujours ou otages d’un matin

Sachent que la vie ne dit pas

Ce que pour vous elle revêtira…

Pluie

Il pleut au dehors, comme un long sanglot de détresse ou d’espoir. Les feuilles se recueillent, libérées, lavées, ruisselantes sous l’onde chaude et poisseuse. Et le ciel bas et lourd n’est pas un couvercle, mais la couverture d’amitié et de tendresse que la Nature étend sur les âmes vacillantes. Demain je reviens, demain je m’en vais, demain je saurai, ou je ne saurai plus. Quelle importance ? Il pleut au dehors, à chaudes larmes et ça brûle la terre, les herbes, les cailloux. Il neigera demain, ouate dispendieuse, pluie consolatrice, et tout est si bien. L’attente, l’espérance, l’éclair de crainte, le rêve qu’on tue, de peur qu’il ne vous tue. Tout est si bien maintenant, mais plus la pluie tombe, plus les herbes sont bien, et plus la Terre est sèche. Et mes larmes aussi.

Pluie2

Note chrysalide sur les feuilles

Qui du bout de leurs doigts recueillent

L’onde nacrée qui sourd des nues

Que de peine lourde et retenue

La terre engloutit goutte à goutte

Les pleurs du ciel qui s’égoutte

Ils caressent, langoureux, le col

Des cailloux sertis et herbes folles

Tout brille, tout reluit, resplendit

Comme une phrase qu’on n’a pas dit

Mais qui palpite là, dans ses yeux

Tournoyant dans les mots malheureux

Les éclairs déchirent le lin du ciel

Brûlent l’écorce vive et les racines de miel

Brisent dans ma mémoire écorchée

La terreur de l’histoire répétée

Et des serments mensongers

Que le temps a mangé

Neige2

Il neige, ouate moelleuse

Dame rêveuse à la moue paresseuse

La neige enveloppe la ville

Il neige, ombre chinoise

Fantôme pale à la mine sournoise

Le givre glace la ville

Il neige, serre implacable

Sombre seigneur au regard glacial

Le froid dévore la ville

Il neige, linceul gris

Lourde poignée aux chapes de mépris

Le ciel écrase la ville

Nuit

Symphonie d’une nuit d’été, vaste étoile, espoir

Claire luminescence de ces grains d’infini

Qui font dans l’œil géant du ciel comme de petites paupières

Qui me clignent de l’œil et de loin me sourient

Car rien n’est plus frigide que l’infini du ciel

Et si vous ne voulez pas périr écrasés

Par la froide splendeur des ténèbres glacées

Contemplez ces écueils de lumière qui vous ravissent l’œil

Une nuit sans étoile, c’est un soir sans espoir

Le début de l’angoisse, le début de la mort

L’infini sans l’espace, l’espace sans amis

C’est un peu le reflet de ta propre nullité

La mort

La mort est une larme au goût acre et salé

Qui frémit doucement dans un œil vitreux

Qui roule lentement sur une joue ridée

Effaçant cruellement les souvenirs pieux

La mort est un chapelet aux grains rugueux et moites

Qui s’égrène sans fin sous des doigts frémissants

Qui tremble faiblement dans des mains maladroites

Implorant vainement un Dieu indifférent

La mort est un album de photos racornies

Qui sourient tristement au dos des pages usées

Qui sourient fixement d’un regard sans vie

Espérant vaguement un brin d’éternité

La mort est un tombeau tissé de fils gris pale

Qui m’attend tout là-bas, au cœur d’un pays vert

Qui gît béant et noir, comme une grosse astragale

Attendant patiemment sa proie dans le cimetière

La mort est un désert d’espace et de néant

Qui me guette toujours au détour des secondes

Qui se tapi sans bruit dans les replis du temps

Profitant sadiquement des minutes infécondes.

Astronome

Hier, nous nous sommes arrêtés pour regarder le ciel. Il y avait plus d’un an que cela ne m’était pas arrivé vraiment ! Quand les phares de l’auto se sont éteints, ça m’a fait comme un grand choc. Je me suis sentie tout à coup rapetissée, et en même temps, mon champs de vision s’est élargi. Le vide s’est fait autour de moi, et il n’y avait plus dans ma tête que le dôme scintillant de la nuit et le bruit des grillons. La voie lactée luisait doucement, comme un chemin dans le velours bleuté de la Nuit. Je me tournais, et me retournais, aveuglée par le faible éclat tremblant des étoiles palpitantes. Le ciel vivait, respirait sous mes yeux. A ce moment, j’ai senti revivre en moi ma vocation d’astronome.

Cerf-volant Isis

Nous avons été faire voler nos ; cerfs-volants. Le vent était constant et fort, un ravissement de cerf-volant ! Certains avaient des cerfs-volants de course, à deux vitesses, et cascadeurs ! Ils se jetaient vers le sol en sifflant, rasant l’herbe et les joncs desséchés. Puis, pris d’une rage débordante, ils remontaient vers le ciel en grondant, plus haut, toujours plus haut, vers le trône étincelant de l’Olympe. D’autres, ornés d’une longue queue scintillante, virevoltaient et dansaient dans le ciel, comme des lutins joyeux sous la nouvelle lune. Les nôtres étaient tout simples : rien qu’un corps carré, pas d’arme, ni de bijou…Mais ils montaient droits dans le ciel, fiers et heureux, le regard tourné vers les étoiles. Comme nos âmes d’astronomes.