CEA
CNRS
Univ. Paris-Saclay

Service de Physique de l'Etat Condensé

21 décembre 2020
Déterminer les forces de corrélations électroniques par spectroscopie de photoémission résolue en angle (ARPES)
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Les spectres de photoémission reflètent la structure électronique des matériaux. Du fait même de la méthode, le système observé n'est plus dans son état fondamental mais présente des excitations de quasi-particules (paires électron-trou), ainsi que des effets à plusieurs corps qui ne peuvent être compris simplement comme l’excitation de particules renormalisée. Les pics principaux d'un spectre de photoémission correspondent généralement à la structure de bande intrinsèque et présentent une dispersion en énergie en fonction de l'angle d’émission. Des "répliques" de ces pics, appelés satellites, sont aussi observables. Comme elles sont entièrement dues aux interactions électroniques, elles peuvent en principe être utilisées pour mesurer la force de corrélation électronique dans un matériau.

Cependant, le plus souvent les spectres mesurés comprennent d'autres contributions qu'il restait jusqu'à présent très difficile à séparer. Notre étude montre comment l'intensité des pics satellites intrinsèques peut être extraite des spectres résolus angulairement mesurés et couplés avec des informations obtenues par une approche théorique, sur l’origine de satellites non-dispersifs. Par cet ensemble de méthodes, la photoémission résolue en angle (ARPES) peut être utilisée pour fixer a minima et sans ambiguïté une limite inférieure du degré de corrélation électronique.

 

La spectroscopie de photoémission est l'une des méthodes expérimentales les plus directes pour accéder aux structures de bande électroniques et aux spectres d'excitation des matériaux. L'interaction coulombienne entre électrons conduit à une renormalisation des énergies et à un élargissement des spectres dû à la durée de vie finie des excitations, mais une structure de bande dite "de quasi-particules" résultante peut généralement être déduite. Elle est souvent bien décrite par les approches théoriques "ab initio". Cependant, les quasi-particules, résultant de l'excitation elle-même, ne constituent qu'une petite partie des contributions aux spectres mesurés. Elles sont généralement accompagnées par un fond incohérent et par une série de structures supplémentaires, appelées satellites, l'ensemble couvrant une gamme d’énergie de liaison large de plusieurs dizaines d'électronvolts.

 

Spectres de photoémission de l'aluminium pour une énergie de photon de 624 eV dans les directions cristallographiques Γ et L, et décomposés selon les différentes contributions : vert : Spectre intrinsèque à T=0 ; jaune : contribution intégrée en angle pondérée par les effets de température T (effet Debye-Waller). Courbe tiretée noire : somme de ces 2 contributions intrinsèques. Brun clair : fond continu. Courbe noire : spectre expérimental. Courbe rouge : somme des différentes contributions calculées, montrant le bon accord théorie-expérience.
 

La partie satellite des spectres est généralement beaucoup moins étudiée que les pics principaux donnant la structure de bandes, bien qu’elle apporte des informations biens spécifiques : alors que la structure de bandes peut être comprise qualitativement dans un modèle d’électrons sans interaction, les satellites résultent de purs effets à plusieurs corps, et ne peuvent donc être interprétés sur la base de particules indépendantes. Par conséquent, ils portent des informations complémentaires de celles obtenues de la simple structure de bande. L'accès à ces informations est cependant délicat et il reste ainsi difficile de quantifier les effets de corrélation uniquement à partir des données expérimentales. Cette difficulté persiste même pour les cas les plus simples, tels que les métaux, où les satellites sont dus à l’excitation de plasmons : les spectres intrinsèques sont en effet masqués par d’autres phénomènes que l’on n’arrive pas à distinguer.

 

À droite (A): fonction spectrale pour l'aluminium dans la direction Γ- L calculée par la méthode ab initio GW (propagateur - Fonction de Green - et self-énergie dans un potentiel W d'interaction coulombienne écrantée) + C (cumulant). Gauche (C) : idem, avec les effets de température et les effets extrinsèques et d'interférence de diffusion inélastique des électrons sur leur chemin au détecteur. Au centre (B) spectre ARPES expérimental.
 

Dans ce travail, nous montrons que la spectroscopie de photoémission résolue en angle (ARPES) peut être utilisée pour surmonter cette difficulté : les spectres mesurés diffèrent en fait des fonctions spectrales intrinsèques du matériau idéal, pour deux raisons principales : la température, qui induit le mouvement des ions et donc une perte de symétrie de translation, et par conséquent de résolution angulaire, et la diffusion inélastique des électrons sur l'ensemble de leur parcours, du site d'émission au détecteur, qui cause une perte d’énergie, principalement au profit de plasmons, et est une autre source de perte de résolution angulaire.

En considérant maintenant les différences entre spectres mesurés pour des angles différents, ces contributions peuvent être éliminées, et peuvent alors être parfaitement reproduites et interprétés par les calculs de premiers principes du spectre intrinsèque. De plus, il est montré que les effets de température et de diffusion inélastique sur les satellites peuvent être calculés sans paramètres ajustables, et le très bon accord obtenu avec les expériences confirme la conjecture initiale.

Comme le montre le bon accord théorie-expérience obtenu, il devient possible, par une meilleure approche dans la décomposition du spectre, de séparer de façon exacte les différentes contributions. La partie satellite intrinsèque peut alors être extraite des spectres de photoémission résolue en angle (ARPES) de façon fiable, ce qui permet de fixer a minima et sans ambiguïté une limite inférieure des effets à plusieurs corps et donc le degré de corrélation électronique.

 

Références :

[1] "Unraveling intrinsic correlation effects with angle-resolved photoemission spectroscopy"
Jianqiang Sky Zhou, Lucia Reining, Alessandro Nicolaou, Azzedine Bendounan, Kari Ruotsalainen, Marco Vanzini, J. J. Kas, J. J. Rehr, Matthias Muntwiler, Vladimir N. Strocov, Fausto Sirotti, and Matteo Gatti, PNAS 117, 28596-28602 (2020).

[2] "Valence Electron Photoemission Spectrum of Semiconductors: Ab Initio Description of Multiple Satellites"
Matteo Guzzo, Giovanna Lani, Francesco Sottile, Pina Romaniello, Matteo Gatti, Joshua J. Kas, John J. Rehr, Mathieu G. Silly, Fausto Sirotti, and Lucia Reining, Phys. Rev. Lett. 107, 166401 (2011).

Contacts CEA-IRAMIS : Matteo Gatti et Lucia Reining (Laboratoire des Solides Irradiés / Groupe de Spectroscopie Théorique).

Collaboration :

 

 
#3305 - Màj : 30/12/2020

 

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