’ai franchi ce matin les portes de la ville dorée…Le ciel était opaque et lourd. Seul flottait sur la mer un voile glauque et bleuté que perçaient timidement les rayons d’un soleil maigre et pale. Les vagues scintillaient dans cette lumière sourde et la ville, tout là-bas, perdue dans la brume rousse, semblait somnoler et sombrer hors du temps…Des bateaux, près du pont, roulaient au gré des flots. Le regard embrumé par les vapeurs d’iodes, les cheveux raidis et blanchis par le gel, j’ai marché vers ce rêve qui me tendait les bras. L’eau. L’eau était reine et tous s’y soumettaient. J’ai vu des palais de marbre et de verre qui tremblaient devant elle, leurs portes vermoulues fléchir devant son poids, des colonnettes ciselées, des mosaïques dorées, des grilles de fer forgés, des jardins orientaux porter son sceau viride et frémir à son chant…Elle s’étend là, glauque et froide, tantôt paisible sous ces canaux étroits, douce sous la gaule des gondoliers qui lui murmurent leur joie, tantôt furieuse et déchaînée sur les ruelles pavées, lançant ses flots d’écume contre les murs rongés, dévastant les palais et leur splendeur vaine.. Combien de temps encore acceptera-t-elle d’épargner la ville fragile ? J’ai cru voir déjà dans les reflets fugaces la vision de la fin, de la chute suprême dans un délire de feu, d’or et de marbre, l’engloutissement final sous les chapes aquatiques…mais l’eau verte et profonde a refermé son cœur et la vision s’est effilochée dans le sillage des gondoles d’ébène.