ans la mer du délire, l’aube se reflète. Il pleut sur la lande, sur la trace de nos pas qui reflète le ciel. Il pleut sur la lande noire. Le silence étouffant pèse comme un couvercle. J’ai les yeux fixés sur les talons de tes chaussures, et je marche, à pas souples, pas à pas vers mon destin obscur. De temps en temps, tu te retournes et tu me jettes un regard interrogateur, l’air de dire : « Ça va ? On y est presque ? » Le vent balaye une mèche sur ton front. Je te souris, puis reprends l’air appliqué d’un écolier studieux. Il faut avancer. De temps en temps, une bruyère rousse se détache des talus éclatés et s’envole, en claquant, dans le vent. J’ai réussi à en attraper une au vol, elle s’est émiettée dans mes doigts. Elles sont malades, à cause des pluies acides qui viennent de Manchester, qu’on sent si proche. Ce chemin n’en finit pas, il passe et repasse dans les gorges de tourbe noire et se perd à l’infini, sous le ciel plombé. Depuis combien de temps marchons nous ainsi, comme des ombres furtives, dans ce cratère désolé ?
J’ai perdu toute notion du temps, mon cœur bruisse dans ma poitrine et dans mes tempes, et je marche comme une automate, seulement soutenue par ta silhouette devant moi.
Nous sommes arrivés au bord de la lande. J’ai dégringolé les éboulis, toujours derrière toi, sans presque y penser, seulement guidée par ta voix. Ma semelle dérape parfois sur les rochers luisants, mais ta force me soutiens, je suis invulnérable, rien ne pourra me casser. Nous avons atteint Edale, toujours silencieux, longé la haie d’aubépine qui conduit au Pub, nous sommes assis sur les bancs vermoulus, et puis tu as parlé…
Tu disais le tonnerre sur les collines vertes, la force de la pluie sur tes pommettes rougies, la beauté des tempêtes sur cette région sereine.
Je voyais la flamme qui brillait dans tes yeux, et je ne disais rien, attentive seulement à la révélation qui me submergeais peu à peu : je t’aimais .
Je ne suis jamais retournée à Edale. Son image comme la tienne s’effiloche peu à peu dans ma mémoire et le voile de l’oubli retombe sur mes paupières lasses. C’est la vie.