Matière molle

Plus peut-être que dans la période précédente, l’activité Matière Molle du LLB, est centrée sur l'étude de systèmes comportant des Polymères. Dans les domaines des Colloides et des Systèmes Moléculaires Organisés, les travaux portent surtout sur l’environnement dans lequel se trouvent les chaînes et qui influent sur leurs conformations.

Beaucoup des systèmes étudiés étant soit auto-organisés, soit des systèmes mixtes où le polymère est associé à un système colloidal, on peut donc mettre à profit le marquage par deutériation pour séparer les différents facteurs de structure partiels. En dehors des méthodes de marquage anciennes, une technique très développée au LLB au cours de ces deux années est celle du Contraste Moyen Nul, qui donne directement le signal intrachaîne à partir d’une seule mesure.

L’association de polymères à des colloïdes, particules chevelues, ou des phases tensioactives, ou l’auto-organisation de polymères copolymères blocs, mène à des propriétés, en particulier rhéologiques, qui en font des objets de choix pour l’étude de matériaux.

L’organisation par l’interface de chaînes, ou bien l’étude de leur pénétration, depuis leur interface, dans un milieu polymère différent, est également reliée à des problèmes de résistance interfaciale.

Les propriétés rhéologiques très variées des systèmes polymères peuvent être étudiées d’une autre façon en les observant à l’état déformé, thème très développé dans ce rapport, notamment sur les polymères mésomorphes.

La prise en compte, en forte expansion, des applications de ces matériaux, se complète par des travaux théoriques qui correspondent au même type de préoccupation. Ainsi le premier thème théorique présenté, la dynamique des réseaux interpénétrés, correspond à un programme surtout expérimental présenté il y a deux ans ; le deuxième, copolymères multiblocs aux interfaces, rencontre un thème expérimental alors que le troisième thème, celui des polyélectrolytes branchés, est en amont du thème polyélectrolyte nouvellement redéveloppé expérimentalement au LLB.

Pour une revue plus détaillée de l’activité, nous commencerons par ce qui concerne la dynamique, ou l’évolution dans le temps de plusieurs systèmes. Le premier système, très ancien dans le groupe, livre de nouvelles informations grâce à l’amélioration du spectromètre à écho de spin. En combinant cette mesure inélastique à la technique de contraste moyen nul, le facteur de forme dynamique d’une chaîne unique (neutre) a été mesuré en solution semi-diluée. Il présente, pour une température théta, à laquelle la chaîne n’est pas autoévitante (pas de volume exclu) un minimum du coefficient de diffusion apparent en fonction du vecteur de diffusion q. C'est une mesure de la distance entre les auto-enchevêtrements qui n’existent qu’en l’absence de volume exclu.

Les autres systèmes correspondent à des dynamiques plus lentes. Le premier correspond à des réseaux interpénétrés. Dans ces mélanges de deux réseaux polymères non miscibles, la séparation de phase est figée par la réticulation. L'étude théorique décrit une croissance lente des microphases due à la relaxation des fluctuations de composition au cours de la gélification. Elle donne l'évolution correspondante de l'intensité diffusée aux petits angles.

Une autre évolution cinétique est celle d’une interface entre deux réseaux polymères, ou bien entre un réseau polymère et un fondu. En mettant en présence deux couches minces déposées sur une tranche de silicium, on peut étudier l’effet du recuit sur la réflectivité des neutrons. Cela permet de suivre l’établissement d’une interface entre réseaux plus large que la maille, ou bien la perméation progressive du réseau par les chaînes non réticulées, qui dépend fortement de la masse de ces dernières. Un système interfacial voisin est celui d’une couche de polymères greffés immergée dans une solution de chaînes libres, dont on peut observer le profil après marquage. Il y a expulsion progressive quand le taux de greffage augmente qui joue pour une brosse le même rôle que e taux de réticulation pour les réseaux. L’on progresse vers la conclusion d’un long débat, très important pour comprendre l’adhésion.

Un autre problème interfacial très riche est celui du comportement à la surface libre d’une solution de copolymères séquencés, en particulier multiblocs hydrophile-hydrophobe. L’accrochage à la surface est en équilibre avec l’association (micelles) dans le volume, due elle aussi aux séquences non solubles. Ce développement, essentiellement théorique (Thèse d' E. Leclerc), a mené à des expériences sur les micelles d’une protéine (caseine) et a rejoint les préoccupations d’une autre équipe du LLB, qui a étudié par diffusion de lumière et de neutrons, des polymères triblocs en solvant sélectif. En jouant sur la sélectivité du solvant par le biais de la température, on passe d’agrégats branchés aléatoirement ("animaux") à des micelles formées d’un coeur insoluble et de boucles solubles ("fleurs") (Thèse d' E. Raspaud).

Un système "mixte" colloïdes-polymère de structure voisine a été le fruit d'une synthèse, délicate mais réussie, au laboratoire. Il s’agit de petites particules de silice sur lesquelles sont greffées de longues chaînes (PDMS). Celles-ci peuvent ponter les particules voisines, et on obtient un élastomère renforcé modèle (Thèse de J. C. Castaing, avec Rhône-Poulenc).

D'autres systèmes mixtes associent des tensioactifs à des chaînes hydrophiles terminées par une petite séquence hydrophobe, qui s'ancrent dans la bicouche. La forme vésicule est stabilisée par le polymère dont le facteur de structure statique montre qu'il est bien ancré, alors qu'il ne modifie pas la rigidité k de la membrane (Thèse de R. Joannic). Inversement, un tensioactif peut stabiliser un polymère en empêchant sa précipitation, probablement grâce aux charges électriques qui le rendent semblable à un polyélectrolyte (coll. Rhône-Poulenc).

Enfin la structure associée du tensioactif peut contrôler la formation d'un gel polymère, ici un gel de silice. Dans certains cas simples, la matrice agit comme un moule : lamelles ou micelles peuvent induire une anisotropie et contrôler la taille des pores du xérogel obtenu après élimination du surfactant.

Le polymère peut également être piégé, dans une structure inerte, comme un verre poreux de Vycor. On peut à la fois éteindre le signal du verre et être en Contraste Moyen Nul pour déterminer en une seule mesure le facteur de forme de la chaîne confinée dans les canaux, de diamètre 70Å, en conditions adsorbantes ou non.

L'environnement peut également être lié à la nature des unités monomèriques, comme pour une chaîne linéaire d'unités nématogènes ; celles-ci étant lyotropes, le facteur de forme devait être mesuré en solution, ce qui a été possible par la même technique (collaboration Université de Graz).

Pour les polymères cristaux liquides, systèmes auto-organisés, en l'absence de solvant, le facteur de forme est obtenu plus classiquement à l'aide d'un mélange de polymères deutériés et non deutériés (collaboration avec l'Institut Curie). La mesure a permis d'étudier des polymères chemisés où les mésogènes pendants sont parallèles à la chaîne; ils l'étirent si fortement qu'elle devient un bâton (collaboration CRPP, thèse de S. Lecommandoux). Dans chaque cas, la DNPA dissipe les controverses sur l'alignement respectif des mésogènes et des chaînes (cas des polymères en peigne stéréoréguliers) et permet l'analyse fine d'une architecture moléculaire.

Les possibilités d'anisotropie de ces polymères mésomorphes induisent des comportements intéressants sous déformation. Une étude rhéologique originale complète (thèse de V. Fourmaux-Demange) est en cours sur des polymères en peigne nématogènes. Elle implique des travaux de rhéologie linéaire, rhéoptique, rayons X et DNPA à l'état étiré en collaboration avec plusieurs laboratoires extérieurs. Elle montre des propriétés d'enchevêtrements très particulières comparées aux polymères amorphes habituels et qui ne semblent pas provenir de l'aspect mésomorphe. Des machines de cisaillement complètement nouvelles ont été développées: Couette avec mesures de couple, cône-plan, dont l'une pour étudier l'influence du cisaillement en phase smectique. Dans ce cas, il est montré que les couches sont orientées par le cisaillement pour des températures suffisamment supérieures à celle de la fusion de cette phase.

Nous terminerons par les études sur les polyélectrolytes. Ces polymères hydrosolubles sont étudiés par plusieurs équipes du LLB. Greffés sur une surface solide (thèse de Y. Mir) ils fournissent des couches très épaisses. Par ailleurs, une étude théorique de ces polymères ramifiés prévoit qu'en solution diluée, les grandes masses sont écrantées mais pas les plus petites. Ceci implique une variation anormale de la viscosité de ces solutions.

Enfin, la méthode de Contraste Moyen Nul a été appliquée afin d'obtenir le facteur de forme de polyélectrolytes en solutions semi-diluées pour trois types de chaînes (thèse de M.N. Spitéri). La conformation du polystyrène complètement sulfoné peut s'ajuster à celle d'une chaîne vermiforme. Cela permet de mesurer la variation de la longueur de persistance avec la concentration en polymère et en sel ajouté. Un résultat frappant est que cette longueur semble contrôlée par un seul paramètre, la force ionique du système, qui n'est pas sensible à la condensation des contreions dans ce domaine de distance et de concentration. La conformation de polystyrène partiellement sulfoné trahit, elle, un effondrement partiel dû à l'hydrophobicité des unités non sulfoné s; la conformation peut s'analyser comme une coexistence de parties vermiformes et de parties compactes (collier de perles).

Enfin la conformation d'un polymère toujours hydrophile mais faiblement chargé semble pouvoir s'analyser en terme de blob électrostatique (correspondant au nombre de monomères suffisant pour que les interactions électrostatiques dominent l'agitation thermique).

Au niveau des perspectives, le maximum sera fait pour poursuivre les études sur les polyélectrolytes. Les prochains développements concernent les systèmes mixtes, les polymères confinés et les systèmes sous déformation. Un projet d'étude de systèmes composites polymères plus particules dures renforçantes constitue la base d'une candidature à un poste de chercheur au CNRS. Ce projet motive également l'étude d'un spectromètre aux tout petits angles (TPA) permettant d'accéder au domaine 10-3, 10-4 Å-1. Un tel appareil serait également très utile pour les études de vésicules et de polymères associatifs biophysiques, deux thèmes qui doivent connaître une forte extension ces prochaines années au laboratoire.


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LLB Janvier 1998