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Univ. Paris-Saclay
17 juin 2014
Vers une électronique moléculaire "tout carbone"

Des diodes, transistors et autres composants électroniques sans métal, uniquement à base de carbone, seraient-ils possibles ? C’est ce que vient de démontrer une équipe franco-espagnole menée par le Service de Physique de l’Etat Condensé de Saclay (SPEC, URA 2464 CNRS/CEA). Dans des travaux publiés dans Nanoscale, cette équipe a réalisé la première description théorique d’une jonction moléculaire tout carbone, constituée d’une molécule de fullerène connectée à une électrode en graphène. En résolvant les équations de la mécanique quantique, les auteurs  démontrent les propriétés conductrices de la jonction. Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de l’électronique moléculaire entièrement à base de carbone.

 

 

Petit rappel historique : en 1879, Thomas Edison invente un appareil, constitué d’un filament de carbone, enfermé dans une enceinte en verre sous vide. Lorsque l’on branche cet appareil à une source d’électricité, il produit de la lumière : l’ampoule électrique était née. Plus d’un siècle plus tard, le carbone fait son retour dans le domaine de l’électronique moléculaire. Tout d’abord sous la forme de graphène et de nanotubes dont les propriétés de conduction électrique ouvrent de nombreuses perspectives pour une nouvelle électronique. Ensuite comme composant principal des molécules organiques, utilisables pour la conception de circuits électroniques révolutionnaires. Une avancée supplémentaire vient d’être réalisée par une équipe franco-espagnole constituée de Yannick Dappe, chercheur CNRS au SPEC, de César González Pascual du Departamento de Física de l’Université d’Oviedo et de Juan Carlos Cuevas de l’Université Autonome de Madrid.

En s’inspirant de premières expériences de microscopie électronique à effet tunnel (STM) pour imager des surfaces [1], cette équipe a réussi à démontrer que l’on peut utiliser des électrodes en carbone pour former des circuits électroniques moléculaires. Pour cela, des simulations numériques, basées sur la résolution des équations de la mécanique quantique, permettent de décrire la matière et les phénomènes de transport électrique à l’échelle microscopique. La méthode utilise la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité (DFT), qui permet de déterminer itérativement l’énergie des électrons du système, en supposant que chaque électron interagit avec les autres à travers un potentiel moyen ou "potentiel d’échange-corrélation". A partir de cette énergie électronique, les forces entre atomes peuvent être déduites, et la résolution des équations du mouvement détermine la nouvelle position de ces atomes. Le processus est itéré de façon à minimiser ces forces, pour obtenir la configuration d’équilibre du système.

En considérant une électrode en carbone constituée de feuillets de graphène, le courant [2] passant à travers une jonction électronique formée par cette électrode et une molécule (cf Fig. 1) peut être déterminé. Les jonctions moléculaires ainsi obtenues forment de bons conducteurs électriques. Sur la partie droite de la Figure 2, est représenté en échelle logarithmique, la variation de conductance en fonction de la distance pointe-molécule. Trois régimes apparaissent :

  • A grande distance, la conductance augmente exponentiellement à l’approche de la pointe.
  • Puis, dans un régime intermédiaire, la conductance reste quasi-constante, la jonction se déformant pour maintenir une distance pointe-molécule constante.
  • Enfin, à courte distance, la pointe se déforme et s’approche à nouveau de la molécule, sans toutefois établir de liaison, d’où l’absence de plateau et une augmentation du courant.
 
Vers une électronique moléculaire

Fig. 1 - Vue artistique d’une jonction moléculaire constituée d’une pointe en carbone, d’une molécule de fullerène et d’un plan de graphène.

Vers une électronique moléculaire

Fig. 2 – A gauche : Représentation de l’isosurface de densité d’état électronique (DOS) montrant le contact entre la pointe en carbone et une molécule de fullerène. On peut observer l’absence de liaison chimique entre la pointe et la molécule. A droite : Variation de la conductance de la jonction moléculaire (en unité de G0) en fonction de la distance. On notera l’absence de plateau à courte distance, synonyme de liaison chimique dans une jonction métallique traditionnelle.

Ces jonctions moléculaires tout carbone présentent de multiples avantages par rapport aux jonctions métalliques classiques. Tout d’abord, elles offrent une grande versatilité de combinaisons avec les molécules organiques pour former des circuits électroniques avec des fonctionnalités diverses. En effet, contrairement aux pointes métalliques, les structures carbonées ne forment pas de contact "chimique" avec les molécules (alors que la formation  d’une liaison chimique peut être un facteur limitant dans la conception de circuits avec des électrodes en or ou en platine par exemple). De plus, elles ne vont pas altérer la nature des molécules par la formation d’un contact, laissant intactes leurs propriétés que l'on souhaite utiliser pour le circuit électronique. Enfin, elles sont mécaniquement très résistantes et bien moins coûteuses que des électrodes métalliques. Elles sont également utilisables comme pointes de STM pour imager des surfaces et des molécules à l’échelle atomique [3].

D’un point de vue fondamental, ces nouvelles électrodes offrent aux chercheurs la possibilité d’explorer le monde moléculaire pour concevoir des circuits électroniques à cette échelle. Elles permettent également de sonder ces molécules sans en altérer la nature quantique. Ces travaux ouvrent ainsi des perspectives fascinantes pour l’électronique du futur et la conception d’un ordinateur moléculaire "tout carbone".

 

Références :

[1] Carbon fibre tips for scanning probe microscopy based on quartz tuning fork force sensors, A. Castellanos-Gomez, N. Agraït & G. Rubio-Bollinger, Nanotechnology 21, 145702 (2010).

[2] Charge injection through single and double carbon bonds, G. Schull, Y. J. Dappe, C. González, H. Bulou & R. Berndt, Nanoletters 11, 3142 (2011).

[3] Carbon tips for all-carbon single-molecule electronics,
Yannick J. Dappe, Cesar Gonzalez & Juan Carlos Cuevas, Nanoscale 6, 6953 (2014).

Voir le communiqué CNRS-INP : "Des pointes en carbone pour l’électronique moléculaire" (Juin 2014).


Contact CEA-CNRS : Yannick Dappe, Groupe Modélisation et Théorie, SPEC

Collaboration franco-espagnole : Yannick Dappea, César Gonzálezb & Juan Carlos Cuevasc

aService de Physique de l'Etat Condensé (CNRS URA2464), IRAMIS, CEA Saclay, 91191 Gif-Sur-Yvette, France
bDepartamento de Física, Universidad de Oviedo, 33006 Oviedo, Spain
 
#2356 - Màj : 28/07/2014

 

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