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Univ. Paris-Saclay
03 mai 2010
Cristaux scintillateurs : trop de photons tuent le photon !
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Contacts : N. Fedorov1 and S. Guizard1, A.Vasil'ev2 and A.Belsky3, M.Kirm4, V.Nagirny4 and E.Feldbach4


 

Pour caractériser un flux de rayonnement ou de particules (électrons, rayons g, photons X ou UV) les détecteurs à scintillation utilisent un matériau émettant une quantité de lumière proportionnelle à l'énergie apportée par la particule incidente. Le processus de scintillation est ainsi au cœur de la métrologie des rayonnements ionisants, en particulier en physique et médecine nucléaire, radiocristallographie ou analyse par fluorescence X. Les expériences récentes de l'équipe du LSI permettent de mieux comprendre les processus élémentaires d'excitation électronique en jeu et d'expliquer les mécanismes physiques à l'origine de la réponse non linéaire des matériaux scintillateurs, source d'imprécision de la mesure, qu'il devient possible de corriger. 

Une des qualités principales que l'on attend des matériaux scintillateurs est leur capacité à délivrer un signal de luminescence proportionnel au flux et à l'énergie des particules incidentes. Dans certaines situations, cette réponse n'est pas proportionnelle : on parle d'effets de saturation ou de "quenching" de la luminescence.

Une autre observation est la forte variabilité de la constante de temps de déclin de la luminescence suivant le type de particule ou de rayonnement incident (électrons, rayons g, photons X ou UV) : dans le cas du Cadmium tungstate (CdWO4) considéré dans notre étude, les valeurs observées s'étendent de 800 ns à 15 µs. Le but de notre étude sur les matériaux scintillateurs est de comprendre l'origine physique de la réponse non linéaire, et de la variabilité des constantes de temps.

 

Notre hypothèse initiale était que ces effets de "quenching" ou d'extinction de la luminescence sont liés à une forte densité d'excitation électronique. Cette forte densité peut avoir deux origines. Elle peut être extrinsèque, si on utilise un faisceau de forte fluence, tel que ceux fournis par les nouvelles sources que sont les synchrotrons de dernière génération ou les lasers à électrons libres. Dans ce cas la forte densité d'excitation est étendue à toute le volume irradié, Elle peut aussi être intrinsèque et locale, car liée aux mécanismes de relaxation propres au solide. Par exemple, lorsqu'une cascade d'excitations électroniques se produit dans la trace d'une particule de haute énergie, deux ou plusieurs paires électrons-trous peuvent être générées dans un petit volume.

Pour tester ces hypothèse, nous avons mesuré et caractérisé la luminescence - spectre d'émission, rendement et déclins - en excitant un échantillon de CdWO4 dans des conditions d'intensité variable. Nous avons utilisé pour cela différentes sources de puissances crêtes élevées issues du laser femtoseconde PLFA (< 35 fs) de l'IRAMIS, et en particulier les harmoniques d'ordres élevés dans le domaine VUV. On peut ainsi générer dans le solide une densité d'excitation instantanée bien contrôlée jusque 1020 paires électrons - trous/cm3.

 
Cristaux scintillateurs : trop de photons tuent le photon !

Luminescence d'un cristal de CdWO4 soumis à un rayonnement laser U.V.

Cristaux scintillateurs : trop de photons tuent le photon !

Les harmoniques (impaires de 3 à 21, soit des photons de 3 à 30eV) du faisceau laser PLFA à 800 nm sont générées par interaction non linéaire du faisceau laser avec un gaz rare (Xe) dans une 1ère enceinte. Elles sont ensuite séparées du faisceau fondamental de forte intensité dans une 2ème enceinte. Le faisceau VUV obtenu est focalisé à l’aide d’un miroir parabolique sur l’échantillon de CdWO4 dans une 3ème enceinte. La luminescence du cristal est collectée par une lentille à l’entrée d’une fibre optique qui transporte le signal lumineux à l’entrée d’un monochromateur.

Le résultat des mesures de déclin, pour différents flux incidents, est reporté sur la figure 2. On observe une diminution à la fois du rendement total et du temps de déclin de la luminescence pour des flux croissants, et un comportement d'autant plus non exponentiel que la densité initiale est élevée. Ce type de comportement traduit la compétition entre plusieurs mécanismes de relaxation dans le solide.

Pour une excitation de faible énergie (par exemple l'harmonique 3 du laser Titane Saphir :, ~ 4.5 eV), l'absorption d'un photon ne peut générer qu'une seule paire-électron-trou dont la recombinaison radiative produit la luminescence dont la décroissance est purement exponentielle. A fort flux, la densité de paires électron-trou devient élevée, la distance entre paires diminue et par interaction dipôle-dipôle un autre mode de recombinaison non radiatif et rapide, de type effet Auger, devient efficace : une paire électron-trou se recombine en transférant son énergie à une paire voisine qui se relaxe de façon non radiative.

Pour les excitations de plus haute énergie (> 10 eV) , les électrons excités peuvent atteindre une énergie totale deux fois supérieure à celle du gap, autorisant leur désexcitation depuis la bande de conduction par interaction avec un électron de la bande de valence pour former une seconde paire e--trou. La proximité des 2 paires créées autorise le mécanisme de désexcitation dipolaire, source de non linéarité.


Courbes de déclin de la luminescence du CdWO4, pour différentes intensités d'excitation : intensités croissantes depuis la courbe rouge vers la courbe bleue. Les deux courbes de couleurs sont le résultat de l'ajustement à l'aide du modèle cinétique utilisé.

 
Cristaux scintillateurs : trop de photons tuent le photon !

Profil de la luminescence d’un échantillon de CdWO4 éclairé par un faisceau laser à 266nm. Les courbes en bleu et en rouge donnent le profil du faisceau laser avant et après correction, respectivement.

On comprend de cette façon les différentes valeurs de déclin (décrit comme mono ou bi-exponentiel), publiées dans la littérature, puisque ce paramètre est variable dans le temps et fonction à la fois de l'énergie du rayonnement et de l'énergie totale reçue.

Par un modèle analytique d'équations cinétiques, nous avons pu décrire la compétition entre les deux processus de désexcitation radiatifs et non radiatifs des paires e--trous. Ce modèle permet de reproduire parfaitement les déclins de la luminescence (figure 2) pour diverses situations expérimentales, à l'aide de seulement deux paramètres ajustables dont nous pouvons déduire les valeurs: la portée de l'interaction dipolaire qui est de 2.1 nm, et la distance moyenne entre les paires formées à haute énergie :2.6 nm. Ces valeurs étant proches, tout mécanisme de desexcitaion conduisant à une multiplication des excitations électroniques aura un impact mesurable sur la réponse du scintillateur.

 

Ces résultats fournissent une explication physique à la réponse non linéaire des scintillateurs, et ouvrent également des perspectives en métrologie des faisceaux ionisants. A partir de la mesure des paramètres du modèle, il devient possible de corriger la réponse du scintillateur (figure 3) : dans le cas présenté de la mesure du profil d'un faisceau laser un effet de saturation spectaculaire est observé, qu'il est maintenant possible de corriger.

Pour conclure, cette étude fondamentale des mécanismes physiques à l'origine de la réponse non linéaire des matériaux scintillateurs a permis de mieux comprendre les processus d'excitation multiple qui surviennent lorsqu'un électron est excité dans la bande de conduction avec une énergie cinétique plus grande que la bande interdite. La réponse non linéaire peut ainsi être corrigée. Cette étude peut maintenant être étendue au cas de l'interaction avec d'autres types de sources ionisantes, telles que des faisceaux de protons ou de positons.

Référence :

Exciton-exciton interactions in CdWO4 irradiated by intense femtosecond vacuum ultraviolet pulses
M. Kirm, V. Nagirnyi, and E. Feldbach, M. De Grazia, B. Carré, and H. Merdji, S. Guizard, G. Geoffroy, J. Gaudin, N. Fedorov, P. Martin, A. Vasil'ev and A. Belsky 
Phys. Rev. B, 79,  233103, 2009.
Physical Review B

Contact : S. Guizard1.


[1] IRAMIS-LSI, CEA Ecole polytechnique, Palaiseau, France

[2] Department of Optics and Spectroscopy, Moscow Lomonosov University (Moscow, Russia)

[3] PCML,Université de Lyon

[4] Université de Tartu, Estonie

 
#1569 - Màj : 22/06/2010

 

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