CEA
CNRS
Univ. Paris-Saclay

Service de Physique de l'Etat Condensé

Effets spécifiques ioniques
Luc Belloni, Ioulia Chikina, Viswanath Padmanabhan, Luc Girard, Jean Daillant, Olivier Spalla, Perrine Maillet
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Effets spécifiques ioniques

Schéma de montage de fluorescence X sous incidence rasante; l'onde évanescente excite les ions situés sous l'interface

Les effets ioniques dits spécifiques regroupent tous les effets certes d'origine électrostatique mais qui ne peuvent être expliqués par la seule valence des ions. Ainsi, Cl- et Br- ou K+ et Na+ peuvent avoir des effets dramatiquement différents sur la structure et la stabilité colloïdale en biologie, en physicochimie organique et minérale, dans l'environnement… Au-delà du classement phénoménologique de Hofmeister (1888), la compréhension fine de ces effets a fait un bond en avant ces dernières années, d'une part grâce à des techniques modernes de mesure de profils ioniques aux interfaces, d'autre part grâce aux développements théoriques et numériques qui font intervenir le concept de polarisabilité ionique. Depuis quelques années, le LIONS développe ces deux facettes, en particulier depuis fin 2006 dans le cadre du projet ANR 066BLAN-0276 "Spécificité ionique dans les systèmes colloïdaux et aux interfaces" (SISCI). Il s'agit de comprendre les couplages électrostatiques à courte distance (en dessous du nm) entre ions, molécules de solvant et matériaux à la fois en solution et au voisinage des interfaces. 

Du point de vue expérimental, le LIONS a développé différentes techniques utilisant la brillance des synchrotrons afin de mesurer le nombre et la distribution spatiale des ions adsorbés aux interfaces: fluorescence X sous incidence rasante à l'interface eau/air ([1], figure 1, stage post-doctoral Viswanath Padmanabhan), ondes stationnaires à l'inrerface liquide/solide.

 

Nous avons en particulier mesuré la composition surfacique de solutions salines par fluorescence x sous incidence rasante (ESRF). La technique utilise la faible pénétration d'un faisceau de rayons en réflexion totale sur l'interface (4nm) pour sonder la composition par fluorescence. Dans le cas d'un mélange d'ions de même valence, ceux-cis ne sont différenciés que par les interactions « spécifiques » que l'on peut donc sonder. On a ainsi pu par exemple montrer une plus forte concentration en I- qu 'en Cl- à l'interface (Fig. 2). Ces expériences se poursuivent actuellement en utilisant la technique d'ondes stationnaires, encore plus sensible à la position.  

 En parallèle à la détermination des profils ioniques à l’interface macroscopique solide/solution, des expériences d’adsorption compétitive au sein d’une même famille (même ligne du tableau périodique) d’ions ont été effectuées sur des poudres minérales poreuses de CeO2 et TiO2. La famille choisie était celle des lanthanides. Tous les ions étant de même valence et présents en même temps dans la solution, l’énergie  électrostatique est identique pour tous ; les différences d’adsorption reflètent alors la spécificité de chaque ion pour la surface considérée. L’utilisation d’une ligne au lieu d’une colonne a permis de mesurer des effets fins tels que  La3+>Gd3+>Ce3+>Eu3+ for TiO2 and La3+>Gd3+ >Eu3+ pour CeO2.

 
Effets spécifiques ioniques

, signaux de fluorescence normalisés pour les 3 ions dans le mélange KCl 0.1M + KI 0.1M (un signal négatif indique une désorption); l'iodure est moins désorbé que le chlorure; le signal du potassium est situé entre les 2 anions afin d'assurer l'électroneutralité; en pleine figure, profils ioniques à l'interface calculés avec l'équation HNC dans le cadre du solvant continu. Un potentiel supplémentaire adsorbant doit être rajouté afin de reproduire les quantités adsorbées mesurées

Effets spécifiques ioniques

Figure 2: Potentiel de force moyenne d'excès (au signe près) lny(r)=lng(r)+v(r) pour potentiel d'interaction Stockmayer (LJ + dipôle). 2 orientations relatives différentes sont présentées. L'approche HNC2 consiste à fixer une paire de particules à une séparation et orientation données (fond bleu plein) et à calculer les profils HNC des molécules du fluide (fond blanc) autour de cette paire. La force ressentie par chacun des 2 monomères donne par intégration le potentiel de force moyenne. Les courbes HNC2 diffèrent des résultats HNC de base en les améliorant et illustrent la présence de fonctions bridge.

Du point de vue théorique, nous avons d'abord poussé l'approche à solvant continu (Modèle Primitif) dans ses derniers retranchements. La spécificité ionique est introduite via des forces de dispersion à courte portée entre ions et entre ions et l'interface eau/air qui dépendent des polarisabilités respectives (effectives, dans l'eau) [2]. Les corrélations ion-ion et les profils ioniques à l'interface sont calculés avec l'équation intégrale HNC [1,2]. La confrontation avec les expériences de fluorescence X pour toute une série d'halogénures d'alcalin requiert l'ajustement des valeurs de polarisabilité ou l'ajout de potentiel adsorbant supplémentaire [1, figure 1]. Ce succès théorique relatif illustre les limites d'une approche à solvant continu. 

Afin de mieux comprendre les couplages multipolaires intenses entre différents constituants à l'échelle de l'Å, nous développons en parallèle au LIONS  des calculs HNC à solvant moléculaire discret (niveau Born Oppenheimer). Les molécules H2O sont représentées par le modèle SPC (un site LJ pour O, des charges partielles pour O et H) tandis que les ions possèdent un moment dipolaire cohérent avec leur polarisabilité (dans le vide cette fois) et leur environnement. Du fait de l'anisotropie des différents constituants, la résolution de l'équation Ornstein-Zernike couplée avec l'équation intégrale HNC requiert des calculs beaucoup plus complexes que dans le Modèle Primitif. Les fonctions de corrélation g(r,W1,W2) dépendent maintenant des orientations respectives des particules et sont développées de manière standard suivant les harmoniques sphériques généralisées. Il faut compter plusieurs centaines de projections gmnlmn(r) pour chaque système. Dans une 1ère étape, nous traitons l'eau pure et les électrolytes eau+ions. La comparaison avec les quelques résultats de simulation de la littérature indique que l'équation HNC peut être améliorée par l'ajout de fonctions "bridge" convenablement choisies. Pour cela, nous développons une approche originale qui consiste à calculer suivant le même formalisme HNC l'arrangement des molécules autour d'une paire de mêmes molécules fixées à une séparation donnée. L'approximation HNC étant utilisée cette fois-ci implicitement au niveau à 3 corps dans la hiérarchie, les corrélations à 2 corps sont améliorées (figure 3).

Dans une 2nde étape, nous étudions l'arrangement des molécules d'eau et des ions au voisinage d'une interface plane ou courbe en ajoutant un constituant supplémentaire qui représente le milieu en contact avec l'électrolyte (air ou solide).

Collaborations: W. Kunz, Regensburg; D. Novikov, DESY, Hambourg.

Programmes: ANR 066BLAN-0276 " Spécificité ionique dans les systèmes colloïdaux et aux interfaces" (SISCI)

 

 

[1] "Specific ion adsorption and short-range interactions at the air aqueous solution interface" Padmanabhan V., Daillant J., Belloni L., Mora S., Alba M., Konovalov O.,PHYS. REV. LETT.  99, 86105 (2007) 

[2] "Osmotic coefficients and surface tensions of aqueous electrolyte solutions: role of dispersion forces" Kunz W., Belloni L., Bernard O., Ninham B, J. CHEM. PHYS. B 108, 2398-2404 (2004) 

 

 
#1062 - Màj : 04/01/2012

 

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