09 avril 2020
Excitation résonante de la nutation d’un nano-aimant

 

Dans une nanostructure ferromagnétique, la dynamique de l’aimantation peut rester cohérente à des angles de précession remarquablement élevés, ce qui constitue un élément important pour un contrôle fiable des dispositifs nanomagnétiques. La preuve expérimentale de cette cohérence est apportée par un nouveau type de spectroscopie, qui consiste à sonder les modes de nutation de l’aimantation autour de sa trajectoire périodique à grand angle de précession.

 

 

Comme pour une toupie, la dynamique naturelle du vecteur aimantation dans un matériau  ferromagnétique correspond à une précession aux petits angles autour de sa position d'équilibre.  Cette résonance ferromagnétique est extrêmement non linéaire à mesure que l'angle de précession augmente, ce qui engendre une série de phénomènes remarquables, tels des turbulences d’ondes de spin et du chaos. Mais cette complexité peut aussi être problématique pour les dispositifs nanomagnétiques. Il est donc important d’établir jusqu’à quel point la dynamique de nanostructures magnétiques peut être excitée de façon cohérente, avant d’être perturbée par l’apparition d’instabilités. Dans ce travail, nous démontrons que la dynamique de l’aimantation peut conserver une cohérence spatiale substantielle jusqu’à de très grands angles de précession.

 
Figure 1. (a) Schéma du dispositif expérimental, montrant le nanodisque de YIG, l'antenne micro-onde excitatrice, et le microlevier mécanique permettant la détection de la dynamique de l'aimantation. (b) Spectre d'ondes de spin observé à 10.5 GHz dans le régime linéaire. (c) Régime fortement non linéaire de la résonance ferromagnétique, observé à la même fréquence d’excitation mais à forte puissance micro-onde.
 

Pour cela, nous étudions un nanodisque de YIG, un grenat d'yttrium fer ayant un amortissement magnétique très faible, où le confinement géométrique supprime drastiquement les interactions non linéaires entre ondes de spin. La dynamique de ce nanodisque est sondée mécaniquement, grâce à un microscope de force par résonance magnétique, dont le principe est représenté à la Figure 1a. Un petit champ micro-onde h1 de pulsation ω1, orienté perpendiculairement au champ appliqué H0 et à l’aimantation à l’équilibre M, permet d’exciter la résonance ferromagnétique dans l’échantillon. À faible puissance, le spectre d’ondes de spin du nanodisque, similaires aux modes de vibration d’un tambour, est excité dans le régime linéaire (Figure 1b). En augmentant la puissance micro-onde, comme dans la Figure 1c, la résonance ferromagnétique est excitée dans un régime fortement non linéaire : on observe un repliement hystérétique de la raie de résonance principale, tandis que la composante longitudinale de l’aimantation s’annule quasiment, correspondant à un angle de précession moyen proche de 90°.

 
Figure 2. (a) Principe de la mesure à deux fréquences représentée dans le repère tournant de l’aimantation. (b) Spectroscopie obtenue en scannant la seconde fréquence autour de la première, fixée à 10.5 GHz. (c) Évolution de la fréquence de nutation en fonction de l’amplitude du champ excitateur h1. (d) Spectroscopie de la nutation obtenue en scannant ω2 autour ω1 en fonction du champ magnétique statique H0.
 

Lorsque cette dynamique est perturbée, l'aimantation oscille autour de l’état hors-équilibre en raison des couples tendant à rétablir la trajectoire stabilisée à grand angle de précession par le champ excitateur h1 à ω1. Pour dévoiler ces oscillations, nous appliquons un deuxième champ d’excitation plus faible, h2, de pulsation ω2, comme schématisé sur la Figure 2a. Cela permet de mettre à jour une nouvelle résonance dans le repère tournant de l’aimantation, caractérisée par deux pics d’absorption symétriques par rapport à ω1 lorsque ω2 est variée (Figure 2b). Cette dynamique de fréquence ω2 - ω1 ~ 300 MHz correspond à une nutation cohérente de l’aimantation autour de la trajectoire périodique à grand angle, semblable à celle effectuée par une toupie autour de son axe de précession. L’évolution de cette fréquence de nutation en fonction de l’amplitude du champ de pompage h1 (Figure 2c) et en fonction du champ magnétique statique H0 (Figure 2d) est bien expliquée par un modèle analytique macrospin et des simulations micromagnétiques.
Cette spectroscopie à deux tons permet également d’exciter des modes de nutation d’ordre plus élevés. Ces modes propres sont spécifiques d’un état fortement hors-équilibre : ils sont substantiellement différents des modes d’ondes de spin autour de l’état fondamental, car leur existence est liée à la présence d’une précession cohérente de grand angle. L’excitation résonante de ces nutations permet également de contrôler la bistabilité de la dynamique non linéaire de l’aimantation présentée à la Figure 1c. Plus généralement, cette nouvelle approche spectroscopique devrait permettre de mieux comprendre les régimes fortement non linéaires de la dynamique de l’aimantation, pertinents pour le fonctionnement des dispositifs nanomagnétiques.

 

Contact CEA : Grégoire de Loubens, SPEC/LNO.

Référence :
Nutation spectroscopy of a nanomagnet driven into deeply nonlinear ferromagnetic resonance,
Y. Li, V. V. Naletov, O. Klein, J. L. Prieto, M. Muñoz, V. Cros, P. Bortolotti, A. Anane, C. Serpico, G. de Loubens, Phys. Rev. X 9, 041036 (2019) - arXiv :1903.05411v1 [cond-mat.mes-hall]

Collaboration :
Ce travail est le fruit d’une collaboration dans le cadre du projet ANR Maestro, entre les chercheurs issus de :

 
#3212 - Màj : 29/04/2020

 

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