03 juin 2014
Un pas crucial vers une mémoire quantique
logo_tutelle logo_tutelle 

Le futur ordinateur quantique aura besoin d’une mémoire quantique capable de stocker l’état de centaines de bits quantiques, possiblement intriqués, sur des temps très longs. Nous cherchons à réaliser ce nouveau type de dispositif quantique en utilisant un large ensemble de centres NV dans le diamant (NV pour Nitrogen-Vacancy : impuretés, constituées par un atome d’azote et une lacune d'azote dans le réseau cristallin du diamant). Ces centres possèdent un spin dont le temps de cohérence peut atteindre une seconde, ce qui en fait un milieu de stockage idéal de l’information quantique. Pour bénéficier de ces longs temps de cohérence, il est impératif d’intégrer des séquences d’écho de spins dans les protocoles de mémoire quantique, ce qui est particulièrement difficile expérimentalement.

Notre expérience récente [1] est la première à montrer que cet objectif peut être atteint, avec l'observation d'échos de spins sur un ensemble de centres NV à des températures cryogéniques, avec des impulsions micro-ondes d’ultra-faible puissance (jusqu’à 100 femtoWatts) et la réinitialisation des centres NV par pompage optique. Ces résultats ouvrent la voie à la réalisation d’une mémoire quantique opérationnelle à base d’ensemble de spins pour les qubits supraconducteurs.

 

Depuis plus de 10 ans, le groupe Quantronique au SPEC est engagé dans un programme de recherche visant à réaliser un nouveau type de calculateur fonctionnant selon les règles de la mécanique quantique : un "ordinateur quantique". Dans ce nouveau type de machine, l’information n’est plus portée par des "bits" pouvant prendre deux états différents (0 ou 1), mais par des "bits quantiques" ou qubits, dont l’état quantique s’écrit comme une superposition de deux états de base, les états |0> et |1>. Comme la mécanique quantique autorise n’importe quelle superposition d’états à plusieurs qubits, un ordinateur quantique bénéficie d’un parallélisme massif qui le rend plus efficace dans certaines tâches qu’un ordinateur classique équivalent. Le groupe Quantronique a par exemple mis en oeuvre récemment un algorithme élémentaire plus efficace que n’importe quel algorithme classique équivalent, en utilisant un processeur quantique élémentaire à 2 qubits supraconducteurs à base de jonctions Josephson [1].

 

Malheureusement la durée maximale d’un calcul quantique est limitée par le temps au bout duquel les qubits perdent leur cohérence quantique. Avec des qubits supraconducteurs, ce temps est limité à une dizaine de microsecondes, ce qui est trop court pour des algorithmes complexes. Depuis 2009, nous explorons donc (en parallèle avec l’amélioration et le développement des circuits supraconducteurs) une nouvelle voie de recherche, visant à développer un nouveau type de dispositif quantique pour allonger le temps utilisable pour un calcul quantique : une "mémoire quantique". L’idée est d’utiliser des systèmes dont le temps de cohérence est plus long que celui des circuits supraconducteurs, et de leur transférer l’état des qubits. Nous avons sélectionné pour cela des impuretés dans le diamant, les « centres NV », comme étant un système prometteur. Ces centres NV sont des centres colorés constitués par un atome d’azote situé à côté d’une lacune du réseau cristallin du diamant. Ils ont un degré de liberté de spin électronique dont le temps de cohérence peut aller jusqu’à la seconde.

 
Un pas crucial vers une mémoire quantique

Figure 1 : prototype de mémoire quantique combinant un cristal de diamant contenant 1011 centres NV et un qubit supraconduteur [2]

Pour réaliser une mémoire quantique, il faut être capable de transférer un état quantique vers le spin des centres NV (étape d’écriture), de le stocker, puis de le récupérer plus tard (étape de lecture). Nous avons démontré l’étape d’écriture lors d’une expérience en 2011 [2] où nous avons intégré sur le même chip un qubit supraconducteur et un ensemble de centres NV dans un cristal de diamant (cf figure 1). Dans cette expérience, un photon micro-onde issu d’un qubit supraconducteur était absorbé collectivement par un large ensemble de 1011 centres NV, et nous avons pu prouver que cette aborption préservait l’état quantique initial du qubit. Par contre nous n’avons pas été capables de stocker cet état pendant un temps long puis de le relire. En effet, chaque centre NV a une fréquence légèrement différente des autres à cause de la distribution aléatoire d’impuretés magnétiques qui l’entourent dans le cristal de diamant ; du coup l’état quantique qui était initialement absorbé collectivement, avec tous les spins oscillant en phase les uns avec les autres, perd sa cohérence de phase parce que certains spins tournent plus vite que les autres.

 


 

 

Figure 2 : Echo de spin dans une mémoire quantique. Le diamant contenant un ensemble de 1011 centres NV utilisés comme mémoire est couplé à un résonateur supraconducteur, à-travers lequel des impulsions micro-onde à la fréquence de résonance des NVs sont envoyés. Une fibre optique collée sur le diamant permet de réinitialiser les centres NV [3]. Six impulsions de très faible puissance, correspondant à quelques photons dans le résonateur sont d'abord stockées dans la mémoire (écriture), puis une impulsion intense de refocalisation génère l'émission de 6 échos de spin (lecture).Courbe continue : données expérimentales ; courbe en pointillé  : théorie


 

 

Pour contrecarrer cet effet, il existe un remède utilisé notamment en résonance magnétique : l’écho de spins. On applique à un instant t une impulsion micro-onde très intense aux spins (appelée impulsion de refocalisation), qui a pour effet d’inverser leur sens de rotation et de les faire revenir en phase à l’instant 2t, restaurant ainsi l’état initial. Cette technique d’écho de spin permet non seulement d’étendre le temps de stockage par plusieurs ordres de grandeur ; en plus elle offre la possibilité de stocker en parallèle un grand nombre d’états quantiques provenant de qubits différents dans le même ensemble de spins. Mais son application soulève des problèmes expérimentaux difficiles dans notre mémoire quantique à base de spins.

 

 

Notre expérience la plus récente [3] a consisté à résoudre ces problèmes. En particulier il a fallu développer une méthode pour réinitialiser dans leur état fondamental les spins qui sont fortement excités par les impulsions micro-ondes intenses utilisées lors de l’écho de spin. Pour cela nous nous sommes appuyés sur une propriété remarquable des centres NV, qui peuvent être repompés dans leur état fondamental de spin en les irradiant avec de la lumière verte, ce que nous avons fait grâce à une fibre optique installée dans le réfrigérateur à dilution construit par l’atelier de cryogénie du SPEC (voir la figure 2). Les spins ont pu être ainsi réinitialisés en 1 seconde, ce qui nous a permis d’effectuer pour la première fois des séquences d’écho de spin où six impulsions micro-ondes de puissance extrêmement faible (environ 100 fW) ont été stockées pendant plusieurs dizaines de microsecondes, puis récupérées (cf figure 2). Même si le régime quantique n’a pas été atteint dans cette démonstration de principe, nos résultats ouvrent la voie à la réalisation d’une expérience combinant l’écriture de centaines d’états quantiques provenant de qubits supraconducteurs dans un ensemble de spins, leur stockage en parallèle, puis leur lecture plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de microsecondes plus tard : c’est-à-dire à la réalisation d’une mémoire quantique opérationnelle.

 


Références :

[1] Quantum speeding-up of computation demonstrated in a superconducting two-qubit processor,
A. Dewes, R. Lauro, F. R. Ong, V. Schmitt, P. Milman, P. Bertet, D. Vion, and D. Esteve, Phys. Rev. B 85, 140503 (2012)

[2] Hybrid quantum circuit with a superconducting Qubit coupled to a spin ensemble,
Y. Kubo, C. Grezes, A. Dewes, T. Umeda, J. Isoya, H. Sumiya, N. Morishita, H. Abe, S. Onoda, T. Ohshima, V. Jacques, A. Dréau, J.-F. Roch, I. Diniz, A. Auffeves, D. Vion, D. Esteve, and P. Bertet, Phys. Rev. Lett. 107, 220501 (2011)

[3] Multimode storage and retrieval of microwave fields in a spin ensemble,
C. Grezes, B. Julsgaard, Y. Kubo, M. Stern, T. Umeda, J. Isoya, H. Sumiya, H. Abe, S. Onoda, T. Ohshima, V. Jacques, J. Esteve, D. Vion, D. Esteve, K. Mølmer, P. Bertet, Phys. Rev. X 4, 021049 (2014)

 
#2353 - Màj : 22/03/2022

 

Retour en haut