... Phases Magazine N° 23
Des nanocristaux de silicium dans l'espace !...

JUILLET 2000 N° 24

Les mousses, traceurs de métaux dans l’environnement

A l’aide de l’Activation Neutronique, une technique d’analyse d’éléments chimiques à l’état de trace, le Laboratoire Pierre Süe (LPS) étudie les retombées atmosphériques en polluants métalliques sur toute la France.


Figure 1 : Brin de mousse, espèce Hylocomium splendens. L'observation au Microscope Electronique à Balayage montre des particules sphériques, de l'ordre du micromètre, typique des émissions de combustion. Sur ce brin, on distingue quatre segments annuels qui permettent de mesurer les retombées pour les quatre dernières années.

Les études environnementales nécessitent des techniques capables de détecter plusieurs éléments à la fois, car un polluant est rarement isolé, une grande sensibilité analytique (de l'ordre du µg par g et parfois moins) et des résultats fiables sur lesquels des politiques peuvent être fondées. L'Analyse par Activation Neutronique (AAN), répond à ces exigences. L'AAN (voir l'encadré), consiste à mesurer la radioactivité émise par un matériau après l'avoir soumis à une irradiation dans un flux de neutrons. C'est une technique d'analyse très sensible, c'est-à-dire capable de mesurer des quantités de l'ordre d'un millionième de microgramme. Le Laboratoire Pierre Süe, fondé en 1969, est la seule installation en France à pratiquer cette technique nucléaire d'analyse.

Figure 2 : Cartes des isoconcentrations (µg/g) en Arsenic et Vanadium analysés dans des mousses en Europe. Les pollutions en arsenic sont principalement apportées par la combustion du charbon. Les industries du verre, les pesticides et les traitements du bois sont des sources d'émission plus mineures. L'arsenic est hautement toxique et cancérigène, lorsqu'il est présent sous certaines formes. Le point rouge dans le sud-ouest de la France est dû au à la contamination des mousses par des poussières provenant de l'exploitation du charbon (mine, centrale thermique) dans cette région. Le vanadium est émis par le raffinage du pétrole et la combustion du charbon. Il est utilisé dans les alliages spéciaux de l'acier et, sous forme carbure, pour l'usinage d'outils du fait de sa haute dureté. Une pollution typiquement transfrontière est observée dans le nord de la Scandinavie (péninsule de Kola), en provenance de Russie.

Cependant, pour certains éléments comme le plomb, non mesurable en Activation, une technique classique d'analyse de traces est utilisée au LPS : la spectrométrie de masse associée à une torche à plasma.

Les mousses, très largement répandues, sont utilisées comme bio-indicateurs de la pollution atmosphériques. Elles n'ont pas de racines, elles se nourrissent de ce qu'elles trouvent dans la pluie et les poussières (Fig. 1). Elles ont pour cela une paroi végétale très fine équipée de sites d'échanges cationiques qui facilitent les contacts avec l'atmosphère, ce qui accumule donc les polluants. Les premières études de ce type ont démarré dans les années 70 en Scandinavie. Il existe maintenant un programme concerté en Europe intitulé "Atmospheric Heavy Metal Deposition in Europe-Estimation Based on Moss Analysis" dans le cadre du projet ADEME "Mousses Métaux Lourds". Les mousses y sont utilisées pour dresser des cartes des retombées atmosphériques en polluants et analyser les variations de ces retombées au cours des années, les campagnes de récoltes et d'analyse étant refaites tous les cinq ans. Ce programme permet aussi d'observer les passages trans-frontières des polluants métalliques (Fig. 2). Le travail effectué au LPS représente la première participation française à ce programme européen. En 1996, 563 mousses ont été récoltées sur tout le territoire métropolitain. Ces résultats ont permis d'établir les cartes de retombées atmosphériques en métaux lourds pour 10 éléments reconnus pour leur caractère toxique pour l'écosystème. Ces cartes mettent bien en évidence les particularités régionales (par exemple : L'Europe de l'Est polluée en métaux lourds, l'impact de l'activité volcanique en Islande, …). La région Ile-de-France se distingue par des concentrations plus importantes de plomb, dues à l'intense trafic routier, mais aussi de cadmium, cuivre et nickel, éléments liés à la combustion du pétrole et à l'incinération des déchets. L'Est de la France est plus sensible aux activités primaires (telles que métallurgie, charbon, industries lourdes). On y retrouve des concentrations plus importantes en arsenic, cadmium et vanadium. Des points de pollution très forte en plomb ont été mis en évidence dans le Nord de la France.

Une prochaine campagne est prévue en l'an 2000. L'utilisation de deux méthodes d'analyse a mis en évidence les limites de chacune. La discussion s'engage au niveau européen pour adopter un protocole analytique encore plus fiable, utilisable par tous. Le but est d'obtenir des données qui puissent être parfaitement comparables d'un pays à l'autre, tout en tenant compte des contraintes de chacun.

Nos techniques d'analyse de traces, particulièrement sensibles et permettant la mesure d'un grand nombre d'échantillons, apportent à l'étude de la pollution atmosphérique un ensemble de données, utilisées ensuite pour comprendre les sources et les voies de transport des polluants. Les mousses, qui aujourd'hui tapissent les clairières, sont nos détecteurs de demain. Ne les piétinez pas !

L’Analyse par Activation Neutronique (AAN)

L’AAN est basée sur la mesure des rayonnements g émis par des radionucléides formés par bombardement neutronique. La pénétration des neutrons dans la matière et le parcours des g sont tels que l'échantillon soumis à l'irradiation est analysé de façon globale. Chaque radionucléide est caractérisé par la nature et l'énergie des rayonnements émis, ainsi que par la période radioactive (temps au bout duquel la radioactivité est égale à la moitié de la radioactivité initiale). Le rayonnement g a un spectre radiatif discontinu, dont les énergies sont comprises entre quelques dizaines de keV et 3 MeV. Soixante éléments peuvent être déterminés simultanément dans un échantillon. C'est donc une méthode multiélémentaire. L'AAN est également quantitative car la radioactivité produite est proportionnelle à la quantité de matière irradiée. Le Laboratoire Pierre Süe est la seule installation en France donnant accès à cette technique grâce aux réacteurs nucléaires expérimentaux Orphée et Osiris de Saclay (91).


Pour en savoir plus :

A. Rühling et E. Steinnes, Atmospheric Heavy Metal Deposition in Europe 1995-1996, Nord 15 (1998).
L. Galsomiès, D. Savanne, S. Ayrault, B. Charré. Dépôts atmosphériques de métaux en France : dosages dans des mousses, données et référence, 1999, ADEME, Paris.

Contact :

S. Ayrault

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