...Turbulence ? Oui, mais par intermittence.

DÉCEMBRE 1999 N° 22

Des nanodisques ultrarigides de tensioactifs


Figure 1 : Empilement moléculaire formant spontanément un nanodisque rigide : les chaînes hydrocarbonées hydrophobes forment un cristal bidimensionnel schématisé en vert. Les faces du nanodisque sont formées d’un réseau bidimensionnel de paires d’ions rouges (cationiques) et bleu (anioniques). Les bords incurvés du disque sont enrichis en tensioactif cationique. La structure en sandwich est responsable de l’exceptionnelle rigidité envers le flambage observé sur ces objets d’épaisseur fixée 4,3 nm. (dessin réalisé par M. BERTRAND -DPE/SLLS/LMCR, Saclay).

Au Service de Chimie Moléculaire, un nouveau type de cristal organique bidimensionnel, ayant la forme d’un nanodisque a été synthétisé. Son diamètre peut être ajusté entre 30 nm et 3 mm. Sa microstructure moléculaire en sandwich assure à ces colloïdes organiques une rigidité exceptionnelle, comparable à celle des nanotubes de carbone.

La stabilité des émulsions et dispersions colloïdales est un objectif pour la mise au point de procédés, notamment pour les industries agro-alimentaire, pharmaceutique et cosmétique.

Parmi les différentes interactions connues entre systèmes moléculaires, la répulsion électrostatique gouverne cette stabilité à l’échelle colloïdale (de 10 à 100 nanomètres). Pour mesurer de façon correcte les forces électrostatiques entre agrégats moléculaires modèles, il faut déterminer les pressions osmotiques (voir encadré), tout en éliminant toutes les causes d’écrantage des forces, ce qui revient à éviter toute présence d’ions. Le couple de détergents anionique (acide myristique) et cationique (hydroxyde de cétyl-triméthyl-ammonium) remplit ces conditions les contre-ions (OH- et H+) de ce mélange se neutralisent pour former de l’eau. On réalise ainsi une solution colloïdale qui présente une conductivité extrêmement faible et une forte pression osmotique (500 Pa). Dans ce système dilué, seulement constitué de deux "détergents" et d'eau, pour lequel la théorie prévoyait la présence de vésicules, on dispose de deux paramètres thermodynamiques pour contrôler l’assemblage moléculaire : la teneur en détergents et le rapport molaire r du composant anionique par rapport à la somme des deux composants.

PRESSIONS OSMOTIQUES : ORIGINE DE LA STABILITE DE FLUIDES COMPLEXES

Lorsqu’on met en contact une solution colloïdale avec un réservoir de solvant séparés par une membrane semi-perméable, on constate que du solvant est transféré vers la solution  : le moteur de ce transfert est la pression osmotique. Dans la nature, cette pression est responsable du gonflement des sols et pilote l’équilibre hydrique des plantes. Lorsque les colloïdes en solution sont sans interaction, la pression osmotique P observée suit la loi des gaz parfaits ( PV = NRT ). L’écart de cette loi renseigne sur les interactions.

La détermination de la pression osmotique (10 - 109 Pa) est actuellement la méthode la plus sensible que l’on connaisse pour mesurer des forces de systèmes moléculaires organisés en solution. 

Associée à une technique structurale (diffusion de neutrons, de rayons X ou de lumière), la mesure de la pression osmotique à différentes températures donne l’équation d’état. Pour des solutions « diluées », de l’ordre de quelques grammes par litre de soluté, si l’on mesure P = 1000 Pa pour des nanodisques distants de 1 micron en solution, on met en évidence des forces de 1 pN s'exerçant à 1 mm. 


Figure 2 : Image obtenue par microscopie électronique après cryofracture et cryodécapage à partir d’une solution de concentration de l’ordre de 10 g/l de mélange de tensioactifs.
a) lorsque le rapport molaire r = 0,45, on obtient des disques de taille moyenne 2-3mm,
b) pour r=0.43, la taille est réduite à 250 nm,
c) pour un plus large excès du composant cationique (r = 0.39), la taille des disques est 30 nm.

En solution diluée de l’ordre de 1 %, et pour un rapport molaire proche de 1, le mélange à l’abri de toute contamination ionique donne une solution de très faible conductivité ( 10 mS/cm). Pour ces conditions, on obtient un objet qui est toujours plan dont la structure est donnée sur la figure 1. L' excès du composant cationique (en rouge sur la Fig. 1) constitue les bords, la taille des disques est fixée par le rapport r. Si ce rapport diminue, la formation de bords est favorisée: les disques seront plus petits.

La figure 2 ci-après montre des images de dispersions de nanodisques monodisperses mais de tailles très variables obtenues par microscopie électronique. Pour obtenir ces images, les disques sont piégés dans la solution que l'on a gelée puis fracturée pour l'observation. Un raisonnement par bilan de volume et de surface par molécule montre que la variation de taille est très rapide lorsque r varie de 32 % à 45 %. Connaissant la composition du bord (r = 0,28) et des faces (r = 0,45) ainsi que les volumes moléculaires, on peut prédire la taille des nanodisques. Les faces portent donc un léger excès de composant cationique de l'ordre de 9 sites acides pour 11 sites basiques (Fig. 3). L'observation par microscopie électronique après cryofracture permet d'évaluer le module de rigidité de ce nanocristal bi-dimension-nel : 2 108 Pa, un record pour un assemblage de molécules organiques. L'origine de cette valeur élevée du module d'Young se trouve dans la structure en "sandwich" du nano-disque.


Figure 3 : Cliché de microscopie électronique montre la coexistence de nanodisques et d'un cristallite de phase lamellaire. Distance entre bi-couches : 100 nm.

Lorsque la concentration en tensioactifs augmente, les nano-diques peuvent coalescer par leurs bords en larges plans formant des cristaux lamellaires. On observe alors des nano-disques coexistant avec une phase lamellaire (Fig. 3). Comme il s’agit d’équilibre thermodynamique de 2 phases, on obtient un plateau de pression osmotique. La mesure de cette pression (encadré) permet d’évaluer les interactions entre disques.

Ces objets rigides colloïdaux ouvrent de nouvelles perspectives en formulation dans l’ingiénierie chimique. Par exemple, une réaction de polymérisation inorganique peut être provoquée à leur surface. On peut ensuite sécher l’ensemble, ce qui produirait des films minces hybrides, à l’échelle nanométrique.


Pour en savoir plus :

"Rigid organic nanodisks of controlled size : a catanionic formulation",
M. Dubois , Th. Gulik-Kryzwicki, B. Deme, Th. Zemb
Comptes rendus de l'Académie des Sciences (1998) t. 1,Serie II C, p. 567-575,

"Self-assembly of flat nanodiscs in Salt-Free Catanionic surfactant solutions"
Th. Zemb, M. Dubois, B. Deme, Th. Gulik-Kryzwicki
Science, vol 283 (1999), p.  816-819

Contacts :

Monique Dubois,Thomas Zemb (SCM).
Thadée Gulik-Kryzwicki (CGM)
Bruno Demé (ILL- LSS).

Le Comité de rédaction


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