...En avant avec les ions de recul

MAI 1998 N° 18

Les vésicules aux cheveux de polymères


Photo : Vésicules observées par microscopie électronique (L. Auvray et V. Poncinet)

Les vésicules artificielles sont de véritables réservoirs microscopiques qui seront utilisés dans l'industrie pharmaceutique comme vecteurs de médicament.
Leur stabilité ainsi que leurs propriétés étonnantes sont étudiées au Laboratoire Léon Brillouin (LLB) par diffusion de la lumière et par diffraction de neutrons aux petits angles.

Depuis de nombreuses années, on essaye d'utiliser les vésicules (voir encadré) comme vecteurs de médicament, mais leur stabilité dans le corps humain n'est que de quelques minutes, ce qui en diminue fortement l'intérêt. Jusqu'à présent, seule la stabilisation de petites particules solides en suspension a été réalisée. Un des moyens les plus efficaces de lutter contre l'agrégation spontanée de ces particules en suspension dans un solvant est de greffer des chaînes de polymères à leur surface. Les interactions entre couches greffées portées par des particules voisines peuvent être suffisamment répulsives pour contrebalancer les interactions attractives, et ainsi empêcher le collage. Cette idée très générale a récemment été appliquée, non pas à des particules solides, mais à des vésicules, objets flexibles et déformables.

Ancrer des chaînes de polymères sur une surface déformable conduit aussi à des phénomènes que l'on ne peut observer avec des surfaces indéformables. Les chaînes peuvent affecter l'arrangement des vésicules, leurs formes, leurs fluctuations, leurs propriétés élastiques et leur agrégation. Ceci conduit à une variété de comportements bien connus théoriquement, mais qui commencent seulement à être explorés expérimentalement.

Les vésicules : cellules artificielles modèles ?

Comme les cellules vivantes, les vésicules sont composées d'une membrane fermée contenant un liquide. La membrane est formée d'une bicouche de molécules de tensioactifs, eux-mêmes composés d'une tête polaire hydrophile, et d'une queue carbonée hydrophobe. Un tel système permet d'isoler du milieu extérieur le liquide contenu dans la vésicule. Il se comporte alors comme un microréservoir de taille comprise entre 20 et 500 nm de diamètre.

Du fait de l'agitation thermique, et de la faible rigidité de la membrane, le contour de la vésicule ne reste pas figé, mais fluctue autour d'une forme moyenne (Fig. 1).


Figure 1 : Représentation schématique de quelques modes d'ondulation de la sphère


Figure 2 : Vue schématique d'une coupe de la membrane formée d'une bicouche de molécules avec et sans polymères

La diffraction des neutrons et la diffusion de la lumière permettent de déterminer la structure et la dynamique de ces systèmes. Au LLB, nous nous sommes intéressés à des systèmes de vésicules assez petites (dans la gamme 20 - 500 nm de diamètre) formées spontanément à l'équilibre thermodynamique, et dont les tailles sont bien adaptées à ces deux techniques de mesure. En diffraction de neutrons, la méthode dite de "variation de contraste" nécessitant l'utilisation de molécules deutérées, permet de séparer le signal de diffusion du polymère et de la membrane. Nous avons choisi le système composé de vésicules dans de l'eau dont la membrane est constituée de sodium dodécyle sulfate (SDS) et d'octanol. Alors que les vésicules SDS-octanol n'existent que pour une proportion bien définie du mélange SDS-octanol, et sont facilement détruites par des variations de température, les mêmes vésicules couvertes de polymères greffés restent stables dans un grand domaine de composition et de température (entre 10 et 60°C). Par ailleurs, le polymère modifie beaucoup la structure et les fluctuations des vésicules. La diffusion de la lumière et la microscopie électronique révèlent une grande dispersion de forme et de taille des vésicules nues. Au contraire, les vésicules chevelues (vésicules coiffées de polymères) sont pratiquement sphériques et monodisperses. Le choix de la composition combinée avec l'utilisation de traitements thermiques particuliers permet de faire varier à volonté le rayon des vésicules entre 15 et 120 nm ; le temps nécessaire à cette transformation peut atteindre la journée.

Les membranes apparaissent saturées en polymères dès que la distance moyenne entre chaînes est de l'ordre de leur rayon de giration (longueur caractéristique de l'encombrement d'un polymère), soit environ 4 nm. Le polymère se répartit de chaque côté de la bicouche, et l'épaisseur totale des couches de polymères à saturation est d'environ 15 nm, à comparer aux 2 nm de la membrane sans polymères. Cet accroissement de l'épaisseur de la membrane n'entraîne pas un blocage complet du système : En effet, bien que la forme et la taille de ces vésicules chevelues soient en moyenne très bien définies, elles sont néanmoins susceptibles de fluctuer autour de leur moyenne (mouvements de respiration ou d'ondulations de surface). La dynamique de ces fluctuations a été observée par diffusion quasi-élastique de la lumière. Elle est bien décrite par une analyse en modes de vibrations. On montre ainsi que les membranes couvertes de polymères ne sont pas plus rigides que les membranes nues. Apparemment, le polymère se contente de favoriser une courbure préférentielle de la membrane sans la rigidifier. La dynamique des échanges entre l'intérieur et l'extérieur de la vésicule devrait être peu modifiée.

Des systèmes similaires ont permis de stabiliser des vésicules dans le sang pendant plusieurs heures et sont très prometteurs pour une utilisation médicale. Beaucoup reste à faire pour comprendre en détail la physique de tels systèmes.


Pour en savoir plus :

Liposomes, from Physics to applications, D.D. Lasic, Elsevier, 1993.

Contact :

L. Auvray(LLB).

Le Comité de rédaction


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