...Phases Magazine N° 4
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DECEMBRE 1990  N°5

  La première image gamma du cœur de la Voie Lactée


Figure 1 : Image numérisée de la région du centre de notre galaxie, obtenue par le télescope à rayons gamma Sigma. Le centre se trouve à l'intersection des coordonnées galactiques I (longitude) = 0 et b (latitude) = 0. Contrairement à ce qui était attendu, il n'y a pas en ce point (croix blanche) de source gamma qui serait associée à la présence d'un trou noir géant. En revanche, une autre source, très intense, non identifiée, se trouve à environ 300 années-lumière de là.

En astrophysique, les phénomènes à haute énergie sont le plus souvent associés avec des objets "exotiques", comme les étoiles à neutrons ou les trous noirs. C'est pour aller à leur recherche que l'expérience Sigma, véritable télescope spatial sensible dans le domaine gamma, a été lancé voici un an. Conçu par le Service d'Astrophysique, cet instrument a déjà fourni de nombreux résultats, parmi lesquels nous avons retenu ici l'un des plus inattendus à ce jour.

Un trou noir au centre de notre galaxie ?

Depuis que les astronomes ont réalisé que le Soleil flotte à la périphérie d'un gigantesque disque de cent milliards d'étoiles (la Galaxie) dont la trace sur le ciel est la Voie Lactée, ils ont voulu savoir à quoi ressemble le centre géométrique de ce formidable système stellaire, autour duquel gravitent toutes les étoiles de la Galaxie. Malheureusement, le disque galactique renferme un gaz très ténu, parsemé de grains microscopiques, une véritable poussière interstellaire, qui accumulée sur la distance de 25000 années-lumière nous séparant du centre de la Galaxie, constitue un écran totalement opaque pour les télescopes travaillant en lumière visible.

Pour de nombreux astrophysiciens, les noyaux galactiques, gouffres gravitationnels par excellence, sont des lieux privilégiés pour abriter un objet fantastique : un trou noir géant, avec une masse comprise entre un million et un milliard de masses solaires, concentrée dans un rayon voisin de celui d'une étoile comme le Soleil ! Et si notre propre galaxie abritait un tel monstre ? Les observations ondes radio, qui peuvent traverser la poussière interstellaire, semblent bien le démontrer : au centre même de notre Galaxie se trouve une source radio très intense, Sagittarius A, dont la taille serait inférieure à celle de l'orbite de Jupiter !


Figure 2 : Le satellite soviétique GRANAT, lancé le 1er décembre 1989, a emporté plusieurs expériences d'astronomies à haute énergie, dont la plus importante est le télescope Sigma, que l'on voit au premier plan.

La matière qui s'engouffre dans un trou noir forme une couronne massive : le "disque d'accrétion". Le trou noir lui-même n'émet aucun rayonnement. C'est le disque d'accrétion, où de violents phénomènes de friction provoquent des échauffements considérables, qui est une puissante source de rayonnement, non seulement dans le domaine radio, mais surtout sous forme de rayons X et gamma dont le pouvoir de pénétration est largement suffisant pour percer le rideau dressé par le gaz interstellaire.

La détection astronomique dans le domaine du rayonnement gamma impose que les appareils de mesure soient placés dans l'espace, au delà de l'atmosphère qui constitue, elle, un écran infranchissable pour les rayonnements à haute énergie. Pratiquées depuis les débuts de l'ère spatiale, les observations à haute énergie ont progressivement révélé la présence d'une source de rayonnement gamma "quelque part" au voisinage du centre galactique. Mais les observations effectuées jusqu'à ce jour souffraient toutes d'une très mauvaise résolution angulaire, si bien qu'attribuer ce rayonnement gamma à la présence d'un trou noir à l'emplacement de Sagittarius A restait pure hypothèse.

Sigma : une "chambre noire" à rayons gamma

Etablir la première "carte gamma" du centre de la Galaxie fut dès 1981 l'un des premiers objectifs du programme d'astronomie gamma à haute résolution angulaire proposé par le Service d'Astrophysique en collaboration avec le Centre d'Etude Spatiale des Rayonnements à Toulouse. Ce programme était fondé sur la réalisation d'un télescope à rayons gamma d'une nouvelle génération : abandonnant le point de vue des physiciens nucléaires, qui s'efforçaient de trouver la direction d'arrivée des photons gamma en tentant de reconstituer le mieux possible les interactions des photons de haute énergie (une méthode restant toujours très imprécise), les promoteurs du projet s'efforcèrent de construire un vrai télescope.

Malheureusement, la longueur d'onde associée aux photons gamma est beaucoup plus petite que les distances interatomiques, même dans les solides les plus denses ; on ne peut donc pas réfléchir les rayons gamma avec des miroirs comme dans le cas des télescopes plus traditionnels. Malgré tout, dans la mesure où l'on peut stopper les rayons gamma, par exemple avec une plaque de tungstène, on peut quand même obtenir des images en rayonnement gamma: il suffit d'appliquer le vieux principe de la "chambre claire". Si on perce un trou dans la face avant d'une boîte constituée de matériau opaque, et si l'on dispose une plaque sensible sur la face opposée, on a réalisé un appareil photo primitif mais qui fonctionne très bien (celui là même qui permit de réaliser les premières photographies au début du siècle dernier).

Ce principe s'applique tel quel au domaine gamma pour peu que la face avant de la chambre soit en tungstène et que la plaque photo soit remplacée par une gamma-caméra, du type de celles en usage dans les hôpitaux. C'est sur ce principe que fut réalisé le télescope Sigma, avec la seule différence que "l'optique" d'entrée ne comporte pas un seul trou mais une multitude, disposés suivant un arrangement rigoureux, de manière à accroître la luminosité de l'instrument sans perdre en finesse (technique du "masque codé") d'où son nom : "Satellite d'imagerie gamma à masque aléatoire". La réalisation du télescope Sigma s'est déroulée de 1983 à 1989 sous la maîtrise d'œuvre du Centre National d'Etudes Spatiales, dans le cadre de la coopération spatiale franco-soviétique. Il est en service opérationnel depuis février 1990, à bord du satellite soviétique GRANAT, lancé le 1er décembre 1989 depuis le cosmodrome de Baïkonour, dans le Kazahkstan.

Le 24 mars 1990, le télescope Sigma a été pointé pendant près de 24 heures dans la direction du centre de notre Galaxie, obtenant pour la première fois une image à haute énergie d'une finesse sans précédent, une véritable radiographie du cœur de la Voie Lactée. Pas de problème pour la source à haute énergie, elle est bien là, très brillante, mais située à 45 minutes d'arc de Sagittarius A, au grand désappointement de ceux qui attendaient de l'astronomie gamma un renfort pour l'hypothèse d'un trou noir massif au centre même de la Voie Lactée.

Que conclure de cette première image ? L'hypothèse de la présence d'un trou noir géant au centre galactique s'effrite un peu plus dans la mesure où l'on ne voit pas trace du rayonnement à haute énergie que devrait émettre le disque d'accrétion ceinturant le trou noir supposé à l'emplacement de Sagittarius A. Quant à la source détectée par Sigma, elle se situe vraisemblablement aussi dans les régions centrales de la galaxie, à environ 300 années-lumière du centre galactique, et donc à 25000 années-lumière du Soleil. A cette distance, le flux mesuré par le télescope implique pour cette source une très grande luminosité qui en fait l'astre le plus brillant de toute la Galaxie dans le domaine spectral couvert par sigma. C'est donc un objet très exceptionnel, dont la nature reste encore mystérieuse: un nouveau défi pour les astrophysiciens !


Contact :

Jacques Paul, DPhG / SAp.

Le Comité de rédaction


Phases Magazine N° 5
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