Le verre casse comme du métal, mais à l'échelle nanométrique

S. Prades, C. Guillot et E. Bouchaud
CEA-Saclay/DSM/DRECAM/SPCSI

 

Le verre est l'archétype des matériaux "fragiles", qui cassent sans se déformer au préalable. Une fois rompu, un échantillon de verre, observé au microscope optique, présente des surfaces de rupture très plates. Cependant à l'échelle atomique (observation par Microscopie à Force Atomique : AFM), elles révèlent une rugosité remarquablement semblable à celle des surfaces de rupture d'alliages métalliques. La seule différence (de taille!) concerne les échelles de longueur caractéristiques, environ mille fois plus petites dans le cas des verres. Cette similitude inattendue pourrait-elle s'expliquer par le fait que les modes de rupture de ces deux catégories de matériaux radicalement différents soient similaires, bien qu'intervenant à des échelles très différentes ?

Les résultats récents acquis dans le cadre de la collaboration entre deux équipes du Laboratoire des Verres (CNRS - Université Montpellier 2) et du Service de Physique et Chimie des Surfaces et Interfaces (CEA - Saclay) montrent pour la première fois que le verre est en effet "nano-ductile" : il ne se brise pas par simple rupture de liaisons atomiques successives au voisinage de la pointe de fissure, mais en provoquant, dans une région d'environ 100 nanomètres à l'aval de la pointe de fissure, des cavités d'endommagement qui, sous l'action de la contrainte, croissent et finissent par coalescer pour provoquer la rupture.

Film de la propagation d'une fissure dans un verre alumino-silicate vue à l'AFM : on observe (en vert) la formation des cavités (émergeant en surface de l'échantillon) et leur coalescence pour former la fissure :

En rompant un échantillon de verre (alumino-silicate) sous la pointe d'un AFM, on observe que la fissure se propage en corrosion sous contrainte : l'action corrosive de l'eau, présente dans l'atmosphère, assiste l'effet de la contrainte extérieure qui, trop modérée, ne pourrait pas provoquer la rupture sous vide. La vitesse moyenne de propagation très faible (typiquement 10-12 à 10-9 m/s) permettant l'observation en temps réel. On voit, au-devant de la pointe de la fissure, une série de dépressions (Fig. a), qui croissent (Fig. b), jusqu'à provoquer la rupture finale (Fig. c). On peut montrer que ces dépressions sont effectivement des cavités d'endommagement émergeant en surface, communément observées dans les matériaux métalliques à des échelles beaucoup plus élevées (1-100 µm). Cette "nano-ductilité" explique aussi les écarts à l'élasticité linéaire observés justement dans la zone endommagée, au voisinage de la pointe de fissure.

Séquence d'observations AFM (fenêtre d'observation 75x75 nm2) séparées de 30 minutes (3 minutes/image) montrant (en vert) des cavités d'endommagement (a), qui croissent (b) pour conduire à la rupture finale (c).

Comprendre l'influence de la composition d'un verre sur la structure de l'endommagement devrait permettre d'établir, à terme, un lien quantitatif entre celle-ci et les propriétés mécaniques, et d'imaginer ainsi des compositions de verres adaptées, ayant par exemple une ténacité ou un temps de vie optimal.

Références WEB :